La forêt qui goutte

Je la pénètre, sans jamais l’avoir vue en plein jour, à la hussarde, d’un coup, sur une rage d’insomniaque, à cru, sans lumière.
Lorsque je suis arrivé, c'était déjà le soir, elle était là, tentante, à deux pas de la porte de ma chambre, offerte et bruissante, sombre, humide, avec une odeur d’infinité tapie dans ses grands murs d’ombres mouvantes.


phare de la lune
dans la forêt
une tempête de nuit


Elle a retenu l’averse de tantôt dans ses mousses, sur ses feuilles, dans ses frondaisons mystérieuses, et elle la distille goutte à goutte.
Une musique de plics et de plocs qui s’harmonise aux légers froufroutements des feuilles remuées par le vent. Et tout cela scintille dans un caléidoscope de tâches de lumières argentées... Ô !


en bas résille
dans le vieux cyprès
la lune


J’imagine le vol lâche des hiboux et des chouettes cueillant les musaraignes en maraude. Les petits galops serrés des marcassins à la traine, alors que le museau croûteux de leur père retourne la terre pleine de larves et de vers pour leurs babines curieuses. Le hérisson ivre qui roule de souches noires en souches noires, et le cerf, qui doit sûrement hésiter à courir dans le sous-bois avec ses ramures brinquebalantes et tout ces troncs.


à l’orée du bois
deux chevaux très calmes
la lune monte


J’ai marché un temps sur un long chemin rectiligne. J’ai marché jusqu’à la peur de me perdre, la nuit, tout seul dans la forêt. J’ai marché en pensant à des fauves, à des bûcherons sanguinaires, à des ours enragés, et puis j'ai fait demi-tour, excité, le cœur battant, les poings serrés.

Entre les troncs pleins de grimaces et les branches griffues, enfin la petite fenêtre jaune apparaît.

Sain et sauf, je rentre. Il fait chaud. J'attrape ma plume de corbeau et mon encrier et j'attends.


sur une tôle
quelque part et de temps en temps
clong ! un gland...



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