Sorcière d'automne


L'automne arrive et nous ensorcelle, juste là, sous nos sens...

Elle ouvre le bal des feux de feuilles et des chutes de faînes, souffle les premiers froids, et donne aux journées de soleil cette pâte nostalgique et sulfureuse.

Elle nous rappelle aussi qu'il est temps de s'amuser avant que le froid sidéral nous change en squelette poseur pour l'éternité.

Voici donc une série ambiguë de haïkus pour tous ceux que l'automne traverse et qui n'ont pas renoncé aux ricanements sinistres et salutaires des soirs rouquins de la vie.

 
sorcière d'automne ~
danse dans les feuilles mortes
les cheveux en feu

*

sorcière d'automne ~
un chat noir hirsute chante
au clair de la lune

*

sorcière d'automne ~
la vigne vierge rosie
transie par tes charmes

*

sorcière d'automne ~
sous ta jupe la fourrure
d'un écureuil fou

*

sorcière d'automne ~
tu chasses les hirondelles
avec ton brouillard

 *

sorcière d'automne ~
épluchures de citrouille
là, au pied du lit


*

sorcière d'automne ~
il cavale dans tes flaques
le ciel nuageux

*

sorcière d'automne ~
tes amanites panthères
tapies sous les feuilles

*

sorcière d'automne ~
mauvais temps sur la prairie
le renard s'amuse

*

sorcière d'automne ~
sur les bogues de châtaignes
allongée tu dors

*

sorcière d'automne ~
la pleine lune est tombée
tout au fond du bois

*

sorcière d'automne ~
tes sourires s'empoisonnent
à des baies de houx

Déjà vu...

Ce goût pour les vieilles choses, les chansons, la mousse sur les pierres, les arbres couverts de lierre, les forêts, l'hiver, les loups, les rires sardoniques, les énigmes, les châteaux hantés, la solitude.

l’araignée ~ une main gracile sur mon épaule

Enfant j'ai dû te rencontrer sur un muret, ou bien près d'un ruisseau au fond de la vallée jolie, dans un pré. On regarde le monde, accroupis et pensifs. Une odeur de terre et d'eau douce me revient, c'est toi. Le souffle d'un monstre derrière nous qui affute ses antennes. On court la peur au ventre, d'ombre en ombre, de rêves en rêves, de petits mondes en petits mondes.

passage secret ~ derrière cette fleur un autre univers

 C'est toi, j'en suis sûr, dans ce vieux cloître calcaire. Le plancher de la bibliothèque, doré à la cire d'abeille, grince sous tes pas légers. Le coin de ta robe envole des galaxies de poussières dans les fins rayons de soleil.

une seconde ~ des milliards d'étoiles dans la pupille


C'est toi encore la danseuse dans ce bazar au milieu du désert. Dans ma besace, raturée par le diable en personne, ce grimoire convoité par les Hashachines. Alors que ton sourire me traîne vers l'extase des étoiles, ils en profitent pour faire entrer la lumière dans les recoins les plus sombres de ma jugulaire. Je suis mort pendu aux lianes spatiales de tes iris de miel.

 décollage ~ le pigeon lâche un duvet à la chute interminable

L'autre siècle, sur les toits fumants d'une capitale brinquebalante. On miaule à la pleine lune, tissant des vers aux vapeurs d'absinthe. Dans la rue les courtisanes cachent des poignards entre leurs froufrou, tu me chuchotes en regardant.

le cœur de la rose ~ frisson d’une guêpe

On s'est enivrés aussi. Tous les deux on a craché de concert comme des punks sur les pensées bouffies des massifs d'une ville de verre fumé. Nos rires de géants pleins de marguerites, de coquelicots et de folles avoines à l'assaut des angles droits. Nos rires pleins d'étoiles arrosant de peinture et d'étincelles l'obscur dessein des paysagistes urbains.

vent de nuit ~ les étoiles font la roue sur les boulevards

 Il y a mille aventures où tu m'accompagnes. En Galice à la recherche d'une druidesse aquatique, sur la lune pour les diamants, sur la piste du trésor des Anasazis de la table verte, chez les Aléoutes souviens-toi, on a surfé des vagues pleines de glaçon chez les Aléoutes, on a compté les moutons en Argentine et sur une île déserte on a fait trente enfants uniquement nourris à la langouste et au lait de coco...

marée basse ~ l’orchestre range sa symphonie

Déjà vu...

... ce goût pour les vieilles choses, les chansons, la mousse sur les pierres, les arbres couvert de lierre, les forêts l'hiver, les loups, les rires sardoniques, les énigmes, les châteaux hantés, la solitude...




Echappée belle - façon haïbun -

Elle m'échappe, elle est insaisissable, inaccessible, au-delà de moi. J'ai pourtant œuvré pour ce frôlement que mes ongles accusent encore comme s'ils s'étaient allumés aux feux de l'enfer. Je les sens mes ongles vibrant comme des cordes de guitare. Ce n'était pourtant que l'ombre du souffle de ce qu'on pourrait appeler sa parure que j'ai failli toucher.

une fleur coupée
l'éclat d'un croissant de lune
dans ses cheveux 

L'exercice, plus cruel et plus vicieux que tous les autres exercices, par l'extrême puissance de la frustration qu'il induit, donne plus de désir encore pour repartir à l'assaut de ses remparts mortifères. Mais avant de repartir, il faut goûter l'instant de la chute, la désillusion, la main qui se referme dans le vide, et le vide qui s'ouvre sous vos pieds et vous aspire goulument. On tombe littéralement, juste assez longtemps pour avoir peur que ça s'arrête, et ça s'arrête.

brouillard dans la nuit
dédale mystérieux
de son regard perdu

Cette fois c'est dans le lierre, dans la terre, dans l'humus d'un bois sans envergure, pas loin d'un village où la désolation répond sans faillir aux chants triste des tourterelles et des corbeaux, que mes muscles et mes os, dans une vague de souffrance molle, s'étalent entre les bouts de bois et de pierre cachés sous la végétation. Reprendre son souffle, ouvrir les yeux, et peut-être la voir, une dernière fois, entendre son rire, sa course, sentir son vent de magie, ressentir par toutes les vibrations mystiques de mon âme sa grâce à nulle autre pareille.

courant d'air d'automne
au loin le soleil s'acharne
sur les pierres froides

Elle a disparu. Je referme les yeux. L'odeur du lierre froissé et de la terre envahit mon esprit. Quelques secondes et j'abandonne. Je n'existe plus. Je sens les cloportes glisser sur ma peau engluée de sueurs froides. Si je reste immobile comme ceci encore un peu, il vont entrer dans ma bouche, dans mes narines. Je relâche tous mes muscles. Je sens les racines, les ronces errantes, les griffes des branches en profiter pour s'enfoncer encore un peu plus à travers les couches de tissu et de peau que j'ai trainées dans ce bois avec tellement d'espérance. J'ai un peu de terre dans la bouche, je déguste. Et si j'étais mort, et si je restais là jusqu'à la pourriture. Je ne peux réprimer un sourire, ce qui allume un frisson, puis un interminable sanglot.

bon baiser de bien loin
sur le cœur grillé
osez la pluie de persil

La nuit est tombée depuis longtemps quand je me relève. Je titube et sans même faire l'effort de me débarrasser des détritus végétaux qui me criblent, je repars à sa poursuite.

au fond de la nuit
tout au fond de la nuit
se cache le jour

# haïkus sur la Citrouille


















ô la belle citrouille
un géant a perdu une graine dans le jardin
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et hop la citrouille
elle est apparue, les arbres en font une jaunisse
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posée sur la terre
emportée dans l'espace, la citrouille tourne
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dans la marmite
au milieu du bouillon, une citrouille morte
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près du vieil étang
la citrouille reste sur la terre ferme, silence
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pirates à l'abordage
les fourmis se battent, pas de quartier sur la citrouille
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crevée par les clous de girofle
une orange soupire à la fenêtre, dehors une citrouille
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silence coupable dans le jardin
à sa place une tonsure, où est partie la citrouille
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les citrouilles montagnardes
elles prennent des rendez-vous : à plus tard , en bas !
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un bébé tout frais
se cache peut-être là, dans la citrouille
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halloween
c'est juste un mauvais rêve, dors citrouille