Echappée belle - façon haïbun -

Elle m'échappe, elle est insaisissable, inaccessible, au-delà de moi. J'ai pourtant œuvré pour ce frôlement que mes ongles accusent encore comme s'ils s'étaient allumés aux feux de l'enfer. Je les sens mes ongles vibrant comme des cordes de guitare. Ce n'était pourtant que l'ombre du souffle de ce qu'on pourrait appeler sa parure que j'ai failli toucher.

une fleur coupée
l'éclat d'un croissant de lune
dans ses cheveux 

L'exercice, plus cruel et plus vicieux que tous les autres exercices, par l'extrême puissance de la frustration qu'il induit, donne plus de désir encore pour repartir à l'assaut de ses remparts mortifères. Mais avant de repartir, il faut goûter l'instant de la chute, la désillusion, la main qui se referme dans le vide, et le vide qui s'ouvre sous vos pieds et vous aspire goulument. On tombe littéralement, juste assez longtemps pour avoir peur que ça s'arrête, et ça s'arrête.

brouillard dans la nuit
dédale mystérieux
de son regard perdu

Cette fois c'est dans le lierre, dans la terre, dans l'humus d'un bois sans envergure, pas loin d'un village où la désolation répond sans faillir aux chants triste des tourterelles et des corbeaux, que mes muscles et mes os, dans une vague de souffrance molle, s'étalent entre les bouts de bois et de pierre cachés sous la végétation. Reprendre son souffle, ouvrir les yeux, et peut-être la voir, une dernière fois, entendre son rire, sa course, sentir son vent de magie, ressentir par toutes les vibrations mystiques de mon âme sa grâce à nulle autre pareille.

courant d'air d'automne
au loin le soleil s'acharne
sur les pierres froides

Elle a disparu. Je referme les yeux. L'odeur du lierre froissé et de la terre envahit mon esprit. Quelques secondes et j'abandonne. Je n'existe plus. Je sens les cloportes glisser sur ma peau engluée de sueurs froides. Si je reste immobile comme ceci encore un peu, il vont entrer dans ma bouche, dans mes narines. Je relâche tous mes muscles. Je sens les racines, les ronces errantes, les griffes des branches en profiter pour s'enfoncer encore un peu plus à travers les couches de tissu et de peau que j'ai trainées dans ce bois avec tellement d'espérance. J'ai un peu de terre dans la bouche, je déguste. Et si j'étais mort, et si je restais là jusqu'à la pourriture. Je ne peux réprimer un sourire, ce qui allume un frisson, puis un interminable sanglot.

bon baiser de bien loin
sur le cœur grillé
osez la pluie de persil

La nuit est tombée depuis longtemps quand je me relève. Je titube et sans même faire l'effort de me débarrasser des détritus végétaux qui me criblent, je repars à sa poursuite.

au fond de la nuit
tout au fond de la nuit
se cache le jour