Routine


Le boulot... bah... de la piécette pour mon proprio. Des gens... des sourires... des soupirs.... et puis quoi encore.
J'attends...
Une odeur de moisi s'incruste dans mon cerveau, dans mes cheveux, dans ma bouche, partout. C'est l'odeur du temps qui passe... Ou bien c'est l'odeur de cette cave où j'attends.
Tic tac ! Tic tac ! Les heures sont longues ce soir. On dirait des aiguilles qui s'infusent lentement dans mes veines.
On me suce le sang... c'est sûr !

 

l'horloge distille
en dessous du niveau de la mer 

je pleure les étoiles


Sortir ! Eh, eh ! Tout le monde essaye de sortir : cadenas, chaînes, énigmes, fausses portes, chausse-trappes, mystère et boule de gomme.
Je suis le faux gardien qui garde de faux prisonniers. Tout le monde fait semblant ici : les prisonniers sont libres et moi je suis assigné à résidence dans ce recoin de pierre puant.
Ah ! Ces gros tuyaux d'évacuation qui vous vomissent dans l'âme à chaque fois que quelqu'un tire la chasse... Poésie liquide en partance pour l'océan Atlantique... Si je vous racontais mon travail, vous ne me croiriez pas...



haïbun
une tentative d'évasion
inespérée

 

Je m'ennuie ! Oh que je m'ennuie ce soir ! Je cherche sur mon cahier de nouvelles formes de poésie : Le "cinqku francophone" m'ennuie :
 

le sang
dans ma barbe
sèche - la nuit
coule de mes yeux noirs
sans fond

 

Le rondeau ? Marre de la rime ! Un sonnet ? Pff ! Je suis toujours coupé au meilleur moment.
Je m'ennuie comme un ressort replié, et c'est presque aussi horrible qu'une rage de dent. J'entends les autres qui s'ennuient aussi ! C'est contagieux ? On meuble, on sourit, on chantonne dans les corridors sans fin, mais on s'ennuie !
On s'ennuie ! On s'ennuie ! On s'ennuie ! C'est une sensation étrange : donner son temps... donner sa vie... ses minutes... contre de l'argent...

 

regrets futiles
le cochon regarde son sang
couler dans la bassine 


Et puis ça passe... Au bout d'un temps assez long, après une suite gracieuse de gestes répétés cent fois, je reprends possession de moi.
Je pointe et je sors. Ah ! L'air salubre de la liberté...
Dans la rue, mauve et sans lumière, il m'attend. Sa chaîne est luisante... Oh ! Mon tas de ferraille, ma monture...
La ville est sous l'emprise du crachin. Un dieu glacé trop bavard postillonne sans discontinuité...
Je zigzague en faisant chanter mes pneus sur le goudron mouillé. Hum ! Il fait très froid et peu de monde, très peu de monde ici présent pour tituber sur les trottoirs.

 

nuit du solstice
l'hiver garde les frileux
engeôlés

 

Malgré le vent et la pluie qui se collent dans mes cheveux, je ne veux pas rentrer tout de suite... non... je traîne... j'ai mes habitudes : un café en terrasse au "Pub".
J'aime ce moment, au milieu des serveurs qui débauchent. Le rouquin attache les chaises et le barman fait sa pause en me racontant des blagues toutes plus mauvaises les unes que les autres...

 

son rire flûté
les mouettes endormies
sur le fleuve

 

J'épluche mon Smartphone... c'est une banane... sa peau, des messages... certains me font rire : une petite sorcière, à cinq cent kilomètres de là, digère une "amanites tue-mouche"... une brune complexe cherche son reflet dans la "poésie de l'instant". Les autres manquent à l'appel.
Les lumières de la ville créent des structures qui se reflètent partout avec l'humidité ambiante.
Au bord de la Garonne les peupliers sont encore verts. J'imagine les myopotames frottant leur pattes palmées dans la vase.

 

la pluie s'arrête
le cuistot déguste
une citronnade

 

Le "Pub" ferme. Je remonte sur mon fidèle destrier de métal. Sur la route deux jeunes filles portent une énorme branche. Je balance une vanne subtile. Elles me répondent qu'elles vont ranimer la flamme de Stalingrad.
Je roule avec du feu dans la tête... Ah ! Les blondes.
Le lion bleu me laisse passer entre ses jambes, toujours rien par ici pour se cogner la tête. C'est pourtant un mâle...

 

dernière ligne droite
mon quartier si banal
extraordinaire

 

La porte s'ouvre avec cette nouvelle clé... on a changé la serrure l'autre jour. Je grimpe l'escalier, je balance l'antivol que j'ai autour du cou sur la table basse.
Allez ! Un autre café, un peu de confiture de myrtilles, des haricots à la tomate avec des galettes de maïs. Tout doux ! A la radio des gens de droite expliquent... j'éteins...

 

le monde dort
ma guitare électrique
ronronne

 

Il est temps d'écrire ce "haïbun" qui me trotte en tête depuis tout à l'heure dans la cave. Un style décousu... du banal... du quotidien... une façon d'écrire chiffonnée... instinctive... casser de l'éloquence... écrire détaché.
Je balance les mots en pensant à la bruine qui se dépose partout... au bruit d'eau dehors... à cette nuit aquatique... ma nuit de solstice.

 

café froid
un renvoi à la compote
de pommes

 

J'ai fini... j'ai mal à la tête.... j'enlève mes chaussures... j'ai froid... j'ai chaud... je couve quelque chose. Mais quoi ?
Je bâille. Oh ! Mon lit ! Je vais étirer cette viande douloureuse dans les draps glacés. Mon cerveau bouillonne déjà de rêves et aspire au néant. Je corrigerai demain !

 

café du matin
l'amertume fleurit
mon sourire