# Fraîcheur 01

Une berge ombragée. Une rivière amoureuse brodée d'aulnes frémissants. On met les pieds dans l'eau.

La danse des libellules - comme autant de petites pensées perdues qui picorent notre conscience qui coule.-

Un vent frais se lève et loin, très loin des rires d'enfants qui se rapprochent...

Il faut vite allumer les lampions, faire brûler de l'armoise pour chasser les mauvais esprits et sortir de la rivière le chaudron plein de fruits, de crapauds, d'anguilles et de chansons...

Nourrir les enfants qui chantent c'est ma définition du bonheur et maintenant qu'ils dorment, allongés dans l'herbe c'est encore plus doux.

On les garde, dragons féroces attendris...

La lune se lève par-dessus le vieux saule édenté... Les grenouilles commencent leurs chansons humides...

J'ai fait du thé à la menthe, tu en veux une tasse ? Sa vapeur est une danseuse au cabaret de la fraîcheur de la nuit...

On attend plus que les étoiles...
Les constellations tout ça...
Pour savoir...
Enfin...
Si demain...
On recommence...

Flaveur de l'Essone

Dans le désordre, humus fleuri, terre mouillée, bois spongieux aux essences diluées, ferment lactique, ferment galactique, amère flaveur du lierre, électrique senteur des graminées coupantes des sous-bois, miel sulfureux et musqué (sûrement du gibier qui s'abandonne), fumure, fumier, ortie fouettée à la pointe du bâton ( orgasme chlorophyllien et ferreux), mûre, eau froide pierreuse, champignon à tous les étages, du sol jusqu'en haut des arbres, fiel, ciel, parfum de femme ( qui est là ?), et, retour à la civilisation, feu de bois, châtaigne et flan aux pruneaux, une touche de fleur d'oranger mélangée à l'ozone des pots d'échappement. Fin de la ballade.

L'empoisonneuse

///Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// 


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Une fleur qui rêve de suinter une sève antipanacée m'a soufflé cette ode cruelle. A première vue, devant ses cinq frêles pétales de fleur de pommier, son air de mariage printanier et ses sourires mielleux, il était difficile d'imaginer sa dangerosité...  Mais comprenez moi,  elle a gâché tant de fêtes, tant de vies, tant d'espoirs que j'ai suspendu avec son accord une petite note  à sa tige gracieuse...



///Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// Attention ///

Arrête le cœur ou le fait éclater.
Déshydrate  en profondeur.
Tord la tripe, fond le foie
et détruit les circonvolutions
Précieuses du cervelet.
Amène la nécrose, la gangrène, la fièvre,
Même dans un corps sain.

Paralyse les muscles et noircit la langue.
Écrase la poitrine sous l'enclume
Pugnace de l'angoisse hallucinogène.
 

///Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// Attention ///  

Risque de montée de fiel,  d'explosion de bile,
De pupilles dilatées, d'iris saccagées,
De dents éclatées sur le sol
Victimes de la gravité.
Plus rarement : ongles et cheveux mous,
Puis verts, puis gris, puis morts.
Veines ulcérées, artères piétinées.
Mycoses mortelles sur les muqueuses.
Infection généralisée de tous les tissus conjonctifs.
Nausées  bien sûr, et autres éjections de fluides vitaux :
Sang, morve, pus, sébum  et liquides céphalorachidiens (par le nez et par la bouche).
Impuissance, asthénie, anorexie, hystérie, délirium tremens,
Agoraphobie et délire justifié d'hypocondrie.

///Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// 

Ne vous approchez pas de cette belle plante.
Ne pas la cueillir. Ne pas la sentir. Surtout ne pas glisser les doigts dans sa corolle. Ne pas la voir. Ne pas l'arroser. Ne pas jouer avec les insectes qui l'auraient butinée.
Ne faites rien qui puissent lui plaire ou lui déplaire.
N'en rêvez pas. N'y pensez pas. N'en parlez pas.

///Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// 

C'est un poison tellement violent qu'une seule évocation déguisée, même un soir d'été entre amis autour d'un lambrusco parfaitement chambré, peut conduire tambour battant et à tombeau ouvert au plus profond des profondeurs des tiroirs de la morgue locale...
Laissez-la tranquille dans son milieu naturel.
Pas de bouquets, de tisane, de photos, de fumette, d'espérance déplacée...   

///Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// Attention /// 

Laissez-la tranquille c'est une fleur empoisonnée...

Sous la table des dieux


A la table des dieux, tentacules et vertiges dégoulinent des carafes comme du lierre.  La lumière cristallise l'ambre des poisons noirs que les bouches affamées dévorent en borborygmes salaces.  Des flots de sauces hantées et bouillonnantes de krills stressés sont enduites et suçotées crissant  entre les

Fleurs et oiseaux s'accouplent embrochés sur les grilles fumantes. Croquettes, boulettes, paupiettes, alouettes en crapaudine, fricassée de membres de blanche biche au chocolat, tout ça agrémenté de pulvérisations d'alcool négatif sous les paupières.  Les mets bizarres défilent sans fin à la table des dieux.


Au milieu du festin une petite scène a été dressée, à coté du crachoir à noyaux.  J'y joue parfois les amuseurs.  Jeu dangereux car les puissants sont sournois. Leurs nourritures décadentes et mystérieuses sont gouteuses mais ce que préfère,  c'est peloter les sorcières qui cuisinent sous la table à grand coup de crachats et de malédictions.  J'entends encore leurs rires lugubres alors que je me fais chasser des fourneaux à grands coups de casseroles et de crapauds ailés...


Les sorcières qui travaillent sous la table des dieux sont de sacrées bonnes femmes.  Une fois, car je sais me faire des amies même parmi les  pires de ce monde, une d'elles m'a convié à un "brunch" de minuit sur la lune.  J'hésitais mais le courage, ma vertu première, étouffa dans l'œuf les doutes et les frayeurs.


A cheval sur son balai elle était venue me chercher avec un panier sous le bras. Une fois installé dans un joli cratère de la mer des tranquillités, elle ouvrit son panier. Il était vide et son sourire, lui, était plein de salive brillante. 


- Tu seras le repas, poète de mes deux...  Approche un peu et on verra si tu es aussi gras que le cochon que j'ai croqué hier...

- Minute sorcière, je suis un sacré morceau de viande, mais j'ai quelques talents qui pourraient apaiser ta faim sans que je finisse en boudin...

- Approche donc et dis-moi ce qui est meilleur qu'un bon repas...

- Ferme les yeux et écoute, moi, je vais peigner tes cheveux et on reparle de tout ça... dents pointues et les soupirs repus et gras des élus.



Voilà comment je m'en suis sorti et voilà comment j'ai appris à défaire les nœuds.  Le couteau sous la gorge est un très bon professeur.