A la table des dieux, tentacules et vertiges
dégoulinent des carafes comme du lierre.
La lumière cristallise l'ambre des poisons noirs que les bouches
affamées dévorent en borborygmes salaces.
Des flots de sauces hantées et bouillonnantes de krills stressés sont
enduites et suçotées crissant entre les
- Ferme les yeux et écoute, moi, je vais peigner tes cheveux et on reparle de tout ça... dents pointues et les soupirs repus et gras des élus.
Fleurs et oiseaux s'accouplent embrochés sur les
grilles fumantes. Croquettes, boulettes, paupiettes, alouettes en crapaudine,
fricassée de membres de blanche biche au chocolat, tout ça agrémenté de
pulvérisations d'alcool négatif sous les paupières. Les mets bizarres défilent sans fin à la
table des dieux.
Au milieu du festin une petite scène a été dressée, à
coté du crachoir à noyaux. J'y joue
parfois les amuseurs. Jeu dangereux car
les puissants sont sournois. Leurs nourritures décadentes et mystérieuses sont
gouteuses mais ce que préfère, c'est
peloter les sorcières qui cuisinent sous la table à grand coup de crachats et
de malédictions. J'entends encore leurs
rires lugubres alors que je me fais chasser des fourneaux à grands coups de
casseroles et de crapauds ailés...
Les sorcières qui travaillent sous la table des dieux
sont de sacrées bonnes femmes. Une fois,
car je sais me faire des amies même parmi les
pires de ce monde, une d'elles m'a convié à un "brunch" de
minuit sur la lune. J'hésitais mais le
courage, ma vertu première, étouffa dans l'œuf les doutes et les frayeurs.
A cheval sur son balai elle était venue me chercher
avec un panier sous le bras. Une fois installé dans un joli cratère de la mer
des tranquillités, elle ouvrit son panier. Il était vide et son sourire, lui,
était plein de salive brillante.
- Tu seras le repas, poète de mes deux... Approche un peu et on verra si tu es aussi
gras que le cochon que j'ai croqué hier...
- Minute sorcière, je suis un sacré morceau de viande,
mais j'ai quelques talents qui pourraient apaiser ta faim sans que je finisse
en boudin...
- Approche donc et dis-moi ce qui est meilleur qu'un
bon repas...
- Ferme les yeux et écoute, moi, je vais peigner tes cheveux et on reparle de tout ça... dents pointues et les soupirs repus et gras des élus.
Voilà comment je m'en suis sorti et voilà comment j'ai appris à défaire les nœuds. Le couteau sous la gorge est un très bon professeur.