Calendrier de l'Avent 2019

Le haïbun est jeu entre la prose et le haïku, entre le long et le court, entre le compliqué et le simple. L'idée est d'associer des saveurs, des images, des interprétations, et de créer par frottement, une étincelle entre deux formes d'écriture.
J'ai écrit/inventé/cuisiné/commis chaque jour du calendrier de l'Avent un haïbun, et cette année, j'ai corsé la difficulté en rajoutant des petits morceaux de photos sans prétention, mais pas sans intention !

01/12/2019 - L’ours
02/12/2019 - La fissure
03/12/2019 - Table rase
04/12/2019 - Big splash
05/12/2019 - Ouate the fuck
06/12/2019 - Sortie de route
07/12/2019 - Lait nuages
08/12/2019 - Le REX
09/12/2019 - Épitaphe
10/12/2019 - Mauvais genre
11/12/2019 - Fin de la boum
12/12/2019 - Vieux blues
13/12/2019 - Kilmister
14/12/2019 - Matin difficile
15/12/2019 - Chat noir
16/12/2019 - Au doigt et à l’œil
17/12/2019 - Une page blanche de publicité
18/12/2019 - Jour de deuil
19/12/2019 - Comme si
20/12/2019 - Bonne question
21/12/2019 - Carrefour
22/12/2019 - Vieux manège
23/12/2019 - Furieuse envie
24/12/2019 - Joyeux Noël !

Je l'ai fait pour moi, pour mon entrainement, mais aussi pour ceux là qui aiment lire mes tentatives. Sans vos yeux bienveillants et vos imaginaires attentifs, cet exercice n'aurait aucun intérêt. Je ne suis pas patient, et je suis bien incapable d'écrire secrètement. J'ai besoin de retours, de conseils, de compliments et de réflexions tordues...


 

Petite bourgade

petite bourgade
près du monument aux morts
un vieillard surveille
une corneille effarouche
l'attroupement des pigeons

une bruine douce
allonge mon café chaud
sur le sol des flaques
de son plus charmant sourire
elle brise le miroir

dans le cimetière
il y a des feux follets
ô les nuits sans lune
combien de belles lumières
issues de la pourriture

Haïkus - 19/02/2019

Une petite cueillette, un dimanche en terrasse, avec un café, un croissant et cette étoile toute proche qui nous réchauffe...

~~~


un enfant pleure
je m'abandonne aux rayons
d'un lointain soleil


du cinquième
quelqu'un secoue les draps
miettes de croissants


les yeux fermés
au soleil tout baigne
dans le rouge


solitude extrême
je suis sorti sans prendre
mon téléphone


migration
un troupeau de valises roulantes
sort de l’hôtel


on dirait
que la poussette
la tire


soleil d'hiver
un ruisseau de vent
sur mon visage


sacré fessier !
la ville comme dans un cours
de perspective


révélation
au printemps on découvre
les arbres morts


vent doux
pâle tremblote des mauves
encore vertes


~~~

les fleurs du pommier

les fleurs du pommier, ce nuage de violettes
~ étincelles printanières
sous son sourire une pluie de promesses

Prose de Septembre IV

#prosedeseptembre

Tous les jours ouvrables de septembre, une dose de prose prosaïque, c'est mon défi de septembre ! Si c'est trop ennuyeux, ben c'est la vie !


Lundi 23 Septembre,

Je laisse mon potager en compagnie de la pluie. C’est rassurant de savoir qu'elle va tomber à tire larigot cette semaine pour mes boit-sans-soif de petites pousses.

Je pars le cœur léger, car mes salades et mes choux, mes épinards, la menthe en fleur et le persil, je les laisse sous la promesse d’un voile de gouttelettes, sous la caresse humide d’un drapé cristallin qui n’en finit pas de chuter paisiblement sur la terre assoiffée.

Vroum !!! La route est dégagée jusqu’à Bordeaux, à croire que la capitale régionale me déroule le tapis noir.

Premier cours de théâtre de l’année : de la grâce et de la terreur. Déjà, je m’attache ! Déjà, ils se racontent. Déjà et dans l’espace illuminé, sans les préjugés, les masques, les mensonges, la beauté de l’espèce humaine, se dévoile.

Mardi 24 Septembre,

Matin de ville. Tumulte de bus et de voitures. Croissants, cafés, cafés, croissants. Klaxons ! Éclats de voix, éclaboussures. La boulangère gère. La queue partout ! C’est le diable ou quoi ?

Le garagiste regarde ma voiture, il me prend à part, mauvaise nouvelle, il me tape sur l’épaule… Un devis ? Hors taxe ! Hors Taxe… Combien ? On va voir monsieur Pélissier. On va voir ! Mais vous roulez beaucoup ! Les pneus, c’est des savonnettes. Avec la pluie, si vous ne faites rien, ça va vous coûter plus cher ! La vidange ! Évidemment ! La vidange, regardez, l’huile est noire ! Je vais vous mettre du MOTUL ! Vous pouvez me faire confiance Monsieur Pélissier. Combien ! On verra ! On verra ! Y'a les plaquettes arrières, peut-être l'étrier, vous roulez beaucoup ! Repassez demain soir ! Allez ! Allez ! On s’en occupe !

Soir de ville. Tumulte de bus et de voitures. Sandwichs, cafés, cafés, cafés. Klaxon ! Éclats de voix, éclaboussures. La boulangère gère. La queue partout ! C’est le diable ou quoi ?

Mercredi 25 Septembre,

Paul Abadie, le constructeur d’église et Adolphe Thiers, le massacreur du peuple, ont leurs Avenues qui se croisent là. Une station de tramways, un arrêt de bus, des feux tricolores dans tous les sens, des parcs à vélo en libre-service, une banque, une église bien sûr, dessinée par Paul et au loin une jolie perspective sur le jardin botanique.

Le soir, les lampadaires illuminent de lumières orangées le dessous du feuillage des platanes. Sur ce tronçon d’avenue, ils n’ont jamais été taillés et s’élancent vers le ciel comme des coups de foudre. On se sent comme dans un ventre.

Et là, il y a un bistro, le bistro du Général Niel ! C’est un vieux pote à Napoléon III, qui s’est distingué à Constantinople, je vous en passe et des meilleurs…

Moi le petit homme vivant, je viens souvent ici boire un café avec ces trois grands. Je me pose en terrasse sous les platanes et j’invente des haïkus.

Une fille à béret rouge, un gars en imper qui cherche du feu pour son mégot, la pluie, les pigeons, l’église énorme, toujours vide, la rue, toujours pleine de moteurs furieux, les fines mosaïques mouvantes des lumières clignotantes des phares et des feux, la petite sonnette du tram, l’odeur du pastis, le bruit de la bière qui pétille, les petites cuillères qui touillent le sucre dans les tasses en porcelaine, un corbeau, un coup de frein, une poubelle renversée, une grosse femme qui se fâche avec son chien, les vélos, les étudiantes pressées et parfumées…

Incroyable !

Jeudi 26 Septembre,

Dans le centre commercial, une vie de rêve, partout. C'est très dangereux. Les gens me trouvent bizarre, je sifflote, c’est un sortilège pour éviter les effets hypnotiques des agencements maléfiques de denrées.

Je marche dans les rayons, dupé par les couleurs, par les prix, je papillonne, mais je résiste grâce à mon sifflotement magique, il dissipe les illusions…

Et là, juste avant d’acheter juste ce pourquoi j'étais venu là, paf ! Un vigile me parle et me le coupe, le sifflet :

- Hé, monsieur, où vous vous croyez à siffler comme ça ?
- À l’église Monsieur, à l’église…
- Vous sifflez dans les églises ?
- Oui, toujours, c’est pour éviter d’y croire !
- Et bien arrêtez ça, on n’est pas dans une église ! Ne déconcentrez pas les gens qui font leurs courses s’il vous plaît…

Et voilà comment je me suis retrouvé avec un paquet de gâteaux, deux boites de thon, une lessive révolutionnaire, des allumettes en promotion et un coca zéro… Il faut que j’apprenne à siffler dans ma tête !

~~~

Se garer ? Si loin ? Ici ? Bon ! Marcher ! Marcher ! Passages piétons… Pistes cyclables… Attention ! Un nouveau quartier ! Attention ! Attention ! On traverse, on s’arrête… On traverse, on s’arrête… Ce n’est pas là. Bah ! Une allée… Des chantiers partout. On monte et on démonte des échafaudages. On retraverse. C’est ici ? Oui ! Une dame cherche aussi ! Ouf ! C’est là ! Un cube de verre. Un couloir noir, puis gris, puis plus étroit, rouge. Un boyau rouge sang. Non, je me suis trompé de route ! Ça, c’est pour aller en enfer… Par ici monsieur ! Monsieur par ici ! J’écoute… Panneaux… Pancartes…. Logos… Jeu de piste… Pff ! Dans mon sac, une lettre d’adieu. Allez courage ! Un ascenseur. Un vestibule. Des portes que l’on pousse, que l’on tire, qui coulissent, qu’il faut ouvrir de loin, à deux, avec une carte, le doigt dans la serrure ! Des portes fermées. Des portes avec des si, des jours, des horaires.

L’angoisse monte comme une mayonnaise. Enfin, je trouve !

- Bonjour Messieurs Dames ! Je vous ai trouvés ! Qu’est-ce que je gagne ?
- On peut vous renseigner Monsieur ?
- Oui ! Enfin, non, je plaisantais… Je… J’ai eu du mal à vous trouver… C’est un peu inhumain ce bâtiment et ce n’est pas très bien indiqué ! Mais rassurez-vous, je n’ai pas fait tout cela pour plaisanter. Je suis venu vous dire que je m’en vais… Voici ma lettre de préavis.

Vendredi 27 Septembre,

Retour au jardin. La terre est ivre d’eau. Il a plu ! Tout est moelleux et croquant de vert. Une fois sur la pelouse humide, j’enlève ma chemise, mes chaussures, et je ris comme un fou. Le soleil se couche en rose ce soir. Je suis étourdi de bonheur. J’attrape une petite pomme qui dépasse du grillage, et je caresse les feuilles des choux entre mes doigts…

Un papillon blanc vacille !



Lire la première semaine
Lire la deuxième semaine
Lire la troisième semaine





Matin

Célébration de ce moment magique du matin et de ses illuminations...

~~~

3h

tombé du lit
une grosse tarentule

5h30

aurore lugubre
Il est déjà debout
l'épouvantail

6h30

réveil brumeux
à l'horizon un petit crème
rose orangé

7h

à l'aube
dans la brume
une vache

8h

matin de rosée
elle enlève sa robe


...

Prose de Septembre III

#prosedeseptembre

Tous les jours ouvrables de septembre, une dose de prose prosaïque, c'est mon défi de septembre ! Si c'est trop ennuyeux, ben c'est la vie !


Lundi 16 Septembre,

Il reste bien des tournesols, mais ils n'ont plus l'aplomb joyeux de juillet. La tête gonflée, alourdie par la semence, le feuillage jaune et décrépit, ils regardent la terre desséchée, soumis au bombardement radieux de leur idole.

La plupart des cultures ont été ramassées, et la terre à nue, durcie par la sécheresse, dépitée, envoie de petits nuages de poussière ocre comme pour dire aux vents, ramenez des nuages, j'ai soif.

Pour ma part, je musarde de chemins en chemins. Je grappille des mûres, des pêches de vigne, quelques poires abandonnées, et je déguste.

Ici assis sur une botte de paille, et là, à l'ombre de la haie, en regardant des silex qu'on dirait bien taillés.

Un chevreuil débusqué file vers un bosquet. Au loin, dans une ferme, un chien s'adonne à sa passion, il hurle, peut-être qu'un renard ou qu'un loup est passé lui tirer la langue.

À l'horizon, immenses et futuristes, les éoliennes tournent au ralenti.

Et puis soudain, je disparais. J'ai repéré un bois. Je me glisse dans une coulée, entre un coudrier et une épine noire qui m'arrache un morceau de peau. Sur mon bras, le sang perle de la blessure. Sans réfléchir, je l'étale sur l’écorce grise d'un jeune charme qui m’accueille sous les frondaisons.

Quand je vous parle de bois, ne vous imaginez pas des allées somptueuses, sous les arcades des grands arbres où l'on flâne en regardant les fleurs tapies dans les fossés.

Non, je suis dans un chaos de lignine, de lierre, et de lichen. Déambulant sur une sente de bête, je me dandine entre les ronces, les toiles d'araignée, les branches basses, les arbres morts en équilibre sur les vivants, les fossés, et les buissons épineux.

Pour avancer dans cet enchevêtrement végétal, il faut danser : lever les pieds, faire des pas étranges, un coup à gauche, un coup à droite, s'agripper et parfois faire demi-tour.

Par ici, le vent ne rentre pas, il secoue juste la canopée et de temps en temps, on entend les choses tomber, des feuilles, des brindilles, des glands, des châtaignes, voire des écureuils maladroits qui se rattrapent en vitesse.

J'ai trouvé une place, un gros tronc moussu est allongé, je me glisse à ses côtés et j'attends. Il y a dans l'air une odeur fauve, un peu sucrée.

Lorsqu'on froisse une feuille de papier et qu'on la balance sur le bureau, si on écoute bien, au bout d'un moment, elle se déplie en pétillant.

Si l'on observe le silence au fond d'un bois, petit à petit, les bruits se multiplient et s'accrochent aux nerfs qui partent des oreilles. Chaque son s’interprète en mille fantasmes.

Avez-vous déjà entendu aboyer un chevreuil ? C'est rauque, ça ressemble à un cri de singe et ça pourrait être poussé par un être humain bizarre. Le genre de mec qui étale son sang sur les troncs d'arbres ?

Après quelques récidives, il détale, froissant les feuilles mortes de ses invisibles foulées gracieuses.

Je me relève, les cris m'ont transpercé, je suis exalté. Je bondis par-dessus les tentacules ronceux, j’esquive les mains griffues, je renifle la terre odorante pleine de mycélium.

Peu s'en fallut que je me gratte le dos sur l'écorce rugueuse d'un chêne.

Enfin, je retrouve le charme qui m'avait accueilli tout à l'heure. Sur sa peau le sang est noir. Quelle étrange magie opère lorsque je rentre dans les bois. Le temps prend un aspect mythologique, ma raison s’efface et je me sens tellement plus...

Être à l’affût, guetter les traces de poésie qui veinent ce monde étrange, surveiller tranquillement la beauté, chasser les images, les morceaux de rêves incarnés dans le drapé du réel, c'est décidé, tous mes pas désormais seront inspirés de la danse de la forêt.  


Mardi 17 Septembre,

Le vent s’acharne dans les branches. C’est la nuit. La fenêtre est ouverte. Des langues de fraicheur me frôlent parfois en réponse au mugissement de la haie.

Tout à l’heure, un soleil de miel dessinait un monde croustillant et doré.

Il est quatre heures du matin...

Dehors, de longues bandes moutonneuses donnent au ciel un aspect étrange sous l’éclairage de la lune. Les arbres n’en finissent pas de frissonner et de craquer, ça souffle et pourtant la voute étoilée est immobile.

J’installe une chaise sous le sapin au milieu du jardin et je pose la guitare sur mes genoux…

Les notes s’instillent et perlent en gouttes futiles aux bouts de mes doigts.

Toute une journée de frissons, de grands rêves, et cette nuit pleine de petit doutes.

Je rentre à la maison. Je chauffe une casserole de lait.

Dans la tasse, je mélange le cacao en poudre avec du sucre roux, je touille avec un peu d'eau pour faire de la bouillasse, et je verse le lait.

Enfin je déguste !


Mercredi 18 Septembre,

Lorsque l'on place un billet dans une entreprise, on attend toujours quelques retours, des dividendes, voire des baisers sur la bouche.

En mettant dix euros dans la poche de mon fils qui partait en voyage d'intégration collégiale dans le Périgord, je ne m'attendais pas à recevoir un tel trésor.

Je vais le chercher dans la nuit, il balance ses sacs dans le coffre et il monte dans la voiture.

Il commence son babillage, comme à chaque fois, je fais semblant de ne rien comprendre, jusqu'à qu'il se souvienne de mes explications récurrentes à propos des registres de langage.

Utilisant ma plus belle éloquence, je lui demande même des nouvelles de mon putain de pognon :

- Je l'ai dépensé papa, pour des souvenirs, enfin, pour un souvenir et une petite pierre. J'ai craqué pour un doudou, tu me connais, un petit mammouth en peluche. Ils étaient tous là, alignés, et il y en avait un avec l’œil un peu mal fait, comme un défaut d'usine, tu vois. Personne allait l'acheter, alors, j'ai craqué...

Ému, je lui dis qu'il a eu bien raison... Ensuite, j'écoute toutes ses anecdotes les plus étranges, ses réflexions philosophiques, les débriefing de parties de jeu vidéo qu'il avait inventé dans sa tête pour patienter dans le bus, les histoires d'amour de son meilleur pote, les trahisons des footeux, l'étrangeté des filles, les détails inimaginables, ses projets dithyrambiques...

Emporté par le flot de mots, je manque même d'écraser un chat.

Un petit chat gris...

Enfin, on arrive à la maison. Pour le faire taire, je lui sers une assiette de lentilles aux petits légumes du jardin. Il aime, et il se régale, moi aussi...

Je me dis, bon, il est bavard, mais au moins, il a bon fond...


Jeudi 19 Septembre,

Je m’épuise, alors j’ai tellement envie de raconter n’importe quoi, de la prose fantaisiste, des histoires d’amour, de sorcières, de fuite dans les étoiles, mais bon, j’ai un défi de prose prosaïque, je pars du concret…

C’est la rentrée bordel de Dieu !

Voyez-vous, j’ai eu des soucis d'inspiration. Ce jeudi, il y a eu du vent. Du vent toute la journée, du vent et du soleil. Le genre de vent qui te donne envie de voler, de courir sur les canopées, de suivre les rivières jusqu’à la mer en grappillant des raisins sans raison. Du vent qui te fait regretter ta bonne vieille Montgolfière, du temps où tu partais à l'aventure, avec le vent, comme un nuage, pour savoir là où il va, sur quelle montagne immense il s'échoue en froufroutant.

Oui, alors j’ai cherché l’inspiration dans les livres, mais impossible de lire. Le vent ! Le vent est si rapide et coquin, je le sens qui lit par-dessus mon épaule et : Chlinc ! Chlinc ! Chlinc ! Il tourne les pages à toute vitesse…

En plus, comme il fait chaud, ce pauvre érable où je suis à moitié pendu... Je vous rappelle qu'il faut deux arbres pour accrocher un hamac. L'érable donc, perd ses feuilles. Ce qui m'attriste, c'est qu'elles ne sont pas mortes, mais juste sèches à cause de la canicule. Ce sale vent arrache les feuilles vivantes, bien vertes et il les envoie dans les choux...

Oui, j’ai planté des choux le matin, et maintenant j’ai bien peur qu’ils s’arrachent. Avec le vent, j'imagine mes choux sur le toit de la voisine, c’est atroce, mes petits choux !

… Laissez-moi vous dire, que ce jeudi à chercher de l’inspiration dans un hamac fut épuisant et très déprimant, j'en ai encore les cordes qui grincent...

Ah, ce vent ! Il a emporté mes cheveux, ma joie, mes dents, mon été et mes idées dans ses tourbillons glacés. Toute ma belle prose ! Hop ! Disparue !

à demain...

Vendredi 20 Septembre,

- Non ! Non ! Non ! Je ne veux pas aller à l’école ! Laisse-moi tranquille, je dors !

Sept heures du matin, enroulé dans sa couette avec Winnie l’ourson et Bourriquet, l’enfant proteste. Il faut dire qu’il fait encore nuit sur le dessin imprimé sur le coton, une belle nuit bleue avec des grosses étoiles toute dodues qui dansent autour d’un croissant de lune souriant !

- Tu peux bien dire tout ce que tu veux, je n’irais pas ! La ! C’est décidé ! Je n’ai pas fini mon rêve…

Je pose une main sur son épaule qui dépasse, et tendrement, calmement, assis sur le rebord de son lit, le cœur gros, je lui mens. 


Prose de Septembre II

#prosedeseptembre

Tous les jours ouvrables de septembre, une dose de prose prosaïque, c'est mon défi de septembre ! Si c'est trop ennuyeux, ben c'est la vie !


Lundi 09 Septembre,

Dehors, il fait déjà nuit noire. C'est mat, une brillante absence d'informations pour mes pupilles dilatées, rien. Presque rien, car, à chercher dans les ténèbres des nuances, on aperçoit quelque chose.

Un monde surprenant, informe, hostile et à la fois attirant et velouté.

Un monde, que l'on devinait à tâtons, lors de ces réveils cauchemardesques de l’enfance.

Le volume étrange de la chambre du bout des doigts me paraît absolument infini et obtus. Je ne comprends plus l’agencement des draps du lit, du tapis, des jouets qui roulent sous mes pieds à moitié affolés. Je cherche désespérément l'emplacement de l’interrupteur. Satané interrupteur qui rampe sur les murs, s'échappe, limace lubrique, téton maléfique et qui finalement, après des litres de sueur froide m'offre une douche d'illumination blafarde sans dieux ni maîtres, ni monstres.

C’est drôle, après le coup de la page blanche, je vous fais le coup de la nuit noire. C’est la prose prosaïque du JOUR pourtant…

À côté du clavier une tasse vide remugle le café colombien. Je me doute bien que le verbe remugler n’existe pas, mais je vais tout de même l’utiliser et je vais même aller couler un café ; sans aller jusqu’à vous promettre une nuit blanche…

À force d’utiliser mes propres poncifs, j’ai bien peur de racler la couenne maigre de mon enthousiasme à écrire jusqu’à l’ennui le plus mortel.

Ouais, l’ennui, ce monstre qui dans un bâillement avalerait le monde, tu le connais, hypocrite lecteur !

A-t-on le droit de citer un poète sans le nommer ?

«... Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, dans la ménagerie infâme de nos vices, il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, il ferait volontiers de la terre un débris et dans un bâillement avalerait le monde ; c'est l'Ennui ! - l'œil chargé d'un pleur involontaire, il rêve d'échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! »

Baudelaire

Et voilà, Charles cherchait ses mots pour vous, et moi, j’ai du café chaud et il me reste quarante minutes pour ma prose.

Je regarde dehors, encore, et encore.

L’automne arrive par la fenêtre ouverte. Il n’est pas encore là, mais il chuchote. Dans l’humide fraîcheur qui s’écoule sur mon cœur fragile et sur ma peau vierge d’amour, je le sens qui chante :

C’est terminé, vos danses folles
Vos fruits sucrés, vos robes courtes
C’est terminé, les nuits d’étoiles
Les bouquets de fleurs parfumées
Ici où là

Rendez-vous et rendez les armes
Je vous annonce la fin des temps
Les feuilles tombent déjà là-bas
C’est une question de seconde
Ici où là

Toi l’érable, toi le prunier
Dépouillez vous, prenez la pluie
L’été se meurt, j’arrive alors
Je veux de l’or et de la vie
Ici où là...

... mince, ma prose rouille en poésie... Ruine, fétus, morceaux, éclats…

La tasse est presque vide, c’est prosaïque ça, mais on n'en ferait pas un roman, l’histoire d’un mec qui boit du café la nuit…

Dans la dernière gorgée, j’ai retrouvé un bref instant, le goût des fleurs de capucines. Je les aime tant les capucines que je rêve parfois d’être un crapaud la nuit, accroupi entre les tiges vermiformes, protégé de la lumière de la lune par les larges feuilles rondes, à guetter l’aube, pour embrasser à tâtons, ébloui, la première fleur à éclore dans les rayons dorés.

Allez ! Une autre tasse, il faut que j’écrive la prose du jour de mardi, dans moins de dix minutes…

Mardi 10 Septembre,

C’est toujours lorsque je dois partir, que j’ai le plus envie d’écrire. Aujourd’hui par exemple, il me reste à peine une heure ou deux avant le décollage obligatoire et j’ai le bout des doigts qui me démange.

C’est ainsi que j’aimerais vivre chaque seconde, avec cette sensation d’urgence, d’intensité. Vivre avec sur le pas de la porte, la faucheuse qui attendrait, tenant le chronomètre d’un air amusé.

Allez ! Allez ! Allez !

Allez les vers !

Parfois elle balancerait son outil tranchant et grimacerait à la fenêtre en chantant :

Tic ! Tac ! Tic ! Tac !
Tu devrais vider ton sac
Toc ! Toc ! Toc ! Toc !
Avant que je pass’ la porte

Elle t'encouragerait quoi ! Je suis sûr qu’avec elle sur le dos je finirais par écrire tous ces putains de livres cachés dans mes délicates circonvolutions cervicales.

Je vais me faire faire une pendule à l’effigie de la faucheuse, avec une phrase choc en latin du genre : Memento mori.*

Une pendule pour penser à profiter de chaque seconde, et pour cesser de mener une vie tendue vers un hypothétique et ennuyeux bonheur vendu à grand frais de publicité mensongère sur la jeunesse éternelle.

Mais ce n’est pas tout ça, il faut que je me taille ! Deux cent kilomètres à siffloter en regardant les paysages, en imaginant un grand squelette qui cours entre les éoliennes, qui saute les rivières en faisant claquer sa cape, et qui parfois… Hic ! …

Vous coupe la route !

* souviens-toi que tu vas crever ! (Traduction approximative de mon cru. J’ai perdu mon latin il y a bien longtemps chez les grecs dans une salade de macédoine).

Mercredi 11 Septembre,

C'est osé, c'est gaillard, presque coquin, voire salaud, mais je vous sers la prose d'hier aujourd'hui. Alors, vous allez me dire ravale-la ta logorrhée faisandée de mots et de sons périmés. Garde-la pour toi, laisse-la avec les ordures de la veille, elle est pourrie, foutue, "hasbeen".

Oui, certes, elle est surannée d'un jour, mais mon hier est encore tiède dans ma mémoire.

J'ai vu des vignes, j'ai bercé d'illusion des femmes et des fleurs, j'ai creusé ma tombe à petits pas joyeux, j'ai pissé au pied d'un noyer en regardant les grappes pendouiller sous le rang, j'ai pissé sur une armoise je crois, et sur quelques chénopodes rougissant en cette la saison. Il y avait du vent et une odeur de dune dans l'air.

La piste onze de mon CD de Chuck Berry est complétement buggée. Dans l'autoradio, on dirait bien qu’un ectoplasme gluant s'est glissé dans la fente pour s'engouffrer dans la gorge du joyeux rocker noir et ça n'avance pas, il s’étrangle avec ses musiciens jusqu'à que je passe à la piste suivante.

Go ! Go Johnny Go ! Go !

Oui, j'ai roulé, j'ai fait des bornes dans l'entre-deux-mers... Magique ça, l'entre-deux-mers, surtout avec la montée des eaux !

Tout en pensant aux prédictions flippantes des collapsologues dégingandés de notre ère des poissons - la bien nommée-, j'ai arpenté l'entre-deux-mers et ses collines couvertes de vignes. J'ai vu les flots se déchaîner, les vagues glisser sur les côteaux bruissant de grains rouges et blancs, et j'ai compté les petits châteaux, lentement rongés par la houle sur leurs îles minuscules.

Des châteaux démolis lentement comme autant d'illusions, mais qui gardent le charme des ruines, comme mes illusions.

C'est ça, le souvenir de la veille, de la ruine de présent. Dans les vestiges de cette prose, des ronces, du lierre lent et vernissé, des toiles d'araignée, enfin, toute la panoplie des choses qu'on laisse aux habitants du silence et de la sérénité.

Voilà la prose d'hier, faites-en bon usage et soyez sages, je prépare celle d'aujourd'hui pour demain.
 

Jeudi 12 Septembre,

J'adore les platanes. Leur vigueur, leurs longues branches blanches qu'ils lancent à l’assaut du soleil lorsqu’ils ne sont pas élagués. Et ce feuillage à la menthe verte qui, là-haut, loin au-dessus de ma tête, bruisse avec élégance dans la lumière brûlante tandis que je contemple les troncs, piliers de la cathédrale, sous l'ombre de laquelle, sans autre dieu qu'un café, je végète, happé par leurs vibrations divines.

Las bas, sur l'avenue, ils sont ratiboisés. Tout l’hiver, leurs moignons de monstres hirsutes génèrent des gargouilles, des brouillons de créatures cauchemardesques que les enfants sages, les yeux écarquillés, n'osent pas dénoncer à leurs parents encore plus sages et encore plus monstrueux. En ce début de septembre, des pelages de bêtes cachent, pubis émeraude, leurs troupes de massues dégénérées. Ils sont alignés, forçats pétrifiés, la touffe au carré et jalonnent la rue.

Une pensée pour celui que je laisse grandir sans trop de taille. Qu’il prenne la place qu’il lui faudra pour devenir un homme, qu’il goûte au parfum de l’air qui chante au-delà des clochers et des antennes râteaux de la canopée urbaine, et surtout qu’il me fasse de l’ombre.

Vendredi 13 Septembre,

Les nerfs, vous connaissez ? À chaque fois que j'ai les nerfs, je repense à la viande de la cantine à l'école primaire.

Dans les steaks hachés, on trouvait ça, des nerfs. Des fils blanchâtres censés avoir été des transmetteurs d'informations d'ordre intime entre le cerveau de la vache et sa chair tourmentée, chair présentement transpercée par ma fourchette timide.

Quand je trouvais un nerf dans mon steak, je ne le mangeais pas, je ne mangeais plus rien. Dégouté, scandalisé, j'osais même dire aux "dames de sévices/services" :

"C'est dégueulasse, plutôt mourir que de mettre ce morceau de cadavre mal cuisiné dans ma bouche, bande de sorcières empoisonneuses d'enfants !"

Un truc dans le genre, j'avais déjà une certaine répartie. Et voilà que les nerfs, par contagion, énervaient le personnel de la cantine.

J'étais puni. Je passais toute la récréation à regarder le bout de viande caoutchouteux dans l'assiette. Les cantinières, elles, pouvaient, en passant la serpillière se passer aussi les nerfs sur moi.

Une fois même une de ces affreuses avait tenté de me boucher le nez pour m'enfourner je ne sais quelle horrible chose dans la bouche. Je l'avais mordue.

Et, tout comme la fois où suite à un coup de compas dans le postérieur, j'avais entrepris d'écraser définitivement le responsable de cette attaque indigne entre le sol et le plateau d'une table, je fus accusé d'être un enfant violent.

"Monsieur le directeur, c'est de la légitime défense, et pour celui qui peut écrire un poème sur une fleur coupée, pour celui qui s'allonge dans la boue du chemin pour sauver le duvet d'un oiseau, pour celui qui pleure quand l'air est bon, pour celui qui donnerait sa vie pour un baiser de cette danseuse décatie qui hante les pages d'un "New-Look" jauni caché sous son matelas, votre histoire de proportionnalité de la réplique n'a aucune sens."

Et le temps qui passe n'arrange rien. Je suis d'une humeur d'ange exterminateur, je n'ai pas de pitié pour les bourreaux de mon enfance, ils ne m'ont rien appris, à part la colère.

L'idée de ces harpies et autres bouchers boutonneux s'approchant de l'agonie et de la décomposition, pour moi, c'est comme une petite source entre deux blocs de schiste qui détrempe un cresson bleu, un sourire d'enfant, une caresse d'araignée...

C'est comme de la menthe qui coulerait à l'intérieur de mes bras et de mes jambes. Une lumière rose et tiède dans le sternum, une bénédiction qui mélange en moi l'amour et la haine pour en faire des cascades de rires et de chevelures de femmes énamourées.

Oui, c'est ironique, mais d'imaginer mes bourreaux en train de crever, ça me calme les nerfs.

Lire la première semaine !
Lire la troisième semaine !







Stage écriture/théâtre

Le samedi 12 octobre de 10h a 18h...
...
Au Studio Théâtre 71 


La Singulière Académie d'Écriture et de Théâtre vous propose une journée autour du thème : « Le détail »

Pour cette journée de création, nous partirons de ce petit rien, ce pressentiment, ce tressaillement imperceptible qui nous ébranle en profondeur, de cette chose qui cloche, rampante et mystérieuse et qui déclenche des flots de pensées inattendues.

Écrire à partir d’une improvisation, improviser en partant d’un texte. Mobiliser sa respiration, sa parole, étirer son corps et ses pensées dans l’espace scénique, et surtout profiter de la détente pour domestiquer l’inspiration. Voilà le programme !

Sur les planches comme dans les cahiers, les deux disciplines se répondront et réveilleront, je l’espère, ce diable qui justement se niche dans les détails…

Atelier animé par Jean-Baptiste Pélissier, professeur de théâtre et Joël Zanouy, animateur d'atelier d'écriture.

Tarif : 85 euros.

- Infos et réservations -

Tél :
  06 45 63 96 17
Courriel : joelzanouy@yahoo.fr






Prose de Septembre I

#prosedeseptembre

Tous les jours ouvrables de septembre, une dose de prose prosaïque, c'est mon défi de septembre ! Si c'est trop ennuyeux, ben c'est la vie !

 

Mardi 03 Septembre,

Matin de rentrée au collège, sept heures... Assis en face de lui, je le regarde tremper des galettes de riz recouvertes de cette confiture de mûres que nous avions faite à la mi-août...

Les images remontent, parfumées : les doigts violets et les fruits les plus beaux, inaccessibles ; le vent dans les cheveux et dans les folles avoines desséchées ; le galop d'un chevreuil débusqué ; la fraîcheur des vallons traversés à vélo, le soir tombant ; la pleine lune jouant avec les éoliennes ; la marmite aux écumes violettes qui chante sur le gaz...

Retour sur terre, le riz soufflé flotte courageusement dans les vagues de lait aromatisé au cacao, du Poulain, pour galoper dans les couloirs d'une nouvelle aventure que je m'efforce de trouver géniale et passionnante.

Mon café est prêt. J'attrape une galette, j'étale une belle couche de confiture dessus et je m'apprête à faire trempette, un peu désœuvré, imitant mon gamin enjoué. Et là ! Quelque chose m'échappe et se brise. Une partie de la galette vole sur mon visage, l'autre morceau le plus gros, tombe à côté de la tasse, roule sur ma chemise, macule mon pantalon et se brisant en plusieurs bouts, se dépose sur le carrelage...
 

Gaston, oui, mon fils s'appelle Gaston et il aime ça !

Et bien, Gaston éclate de rire et se précipite pour regarder le résultat de cette maladresse matinale !
 

- Papa, tu as trop de la chance, elle est tombée du bon coté, ça va être une bonne année ça ! 

J'ai acquiescé, divagué un peu avec lui sur une théorie à propos des chats qui retombent toujours sur leurs pattes et qui seraient bien pratique pour sécuriser nos tartines délictueuses...
 

J'ai même essayé pour rire, de tartiner les deux cotés d'une galette et de la faire tenir en équilibre sur la tranche.
 

Enfin, j'ai changé de vêtements parce que la confiture de mûres même sur le noir ça colle et ça fait tache, et on est partis à travers les champs en écoutant du rock & roll dans la voiture...

Mercredi 04 Septembre,
 

Sortie des classes, fou de joie, il se jette dans les bras de son père et implore : allez ! allez ! on se casse !
 

J’ai la chanson «emmenez-moi» dans la tête.
 

On s’installe dans la voiture, mais les gros culs des bus scolaires nous interdisent toutes manœuvres. Il me dit, ce n’est pas grave, on est ensemble et commence à me raconter ses trucs…
 

Il avait choisi pour le premier jour un sweat-shirt chic, noir avec un petit col blanc, un short rouge et sa veste en jean si vaste qu’il peut disparaître à loisir à l’intérieur. Il est fier, et à la fois, blasé, presque ma définition de l'élégance ultime.
 

Les bus avancent, lentement, fumant, la rue est en pente, des enfants dégoulinent de partout, je manœuvre comme je peux et je finis par réussir le décollage…
 

- ... On a rempli des questionnaires. Alors, à la question qu’est ce que tu aimes le plus, bon à part les parents, parce que c’est les parents qu’on aime le plus, j’ai écrit « les jeux vidéo »…
 

- Eh bé ! et les chansons de "Brassens" pour t’endormir, les balades en forêt, les parties de jeu de rôle dans la bagnole, les soirées lecture sandwich au pâté "coca-cola", les haïkus écris à la plume dans ton cahier spécial, la brique de briques de "LEGO" que je t’ai achetée, ton vélo vintage, les piqueniques, les bagarres, les mangas, les expériences culinaires, les "road trip" dans le Limousin avec "Chuck Berry" à fond, les jeunes veaux qui dodelinent le matin dans la rosée des pâturages crachant des petits nuages tièdes par les naseaux à côté du potager avec la lueur mielleuse du soleil levant…
 

- Papa, je t’arrête, ils ont demandé ce que "JE" préfère. Mais tu ne sais pas le pire ! Après, il y avait la question : quel est votre talent particulier, alors là, j’ai répondu : je sais rêver éveillé. Comme ça ils sont prévenus, même quand j’ai l’air d’écouter sagement, parfois, je ne suis pas là…
 

Jeudi 05 Septembre,

"Café de la paix", c’est mieux que "Le Central", ou "Le Café du commerce".
 

Je ne sais pas s’il s’appelle de la paix parce qu’il est juste à côté d’une église romane qui n’en finit pas, comme un crapaud au soleil, de s’aplatir lentement sous le poids édifiant de la non-existence de dieu ou si c’est à cause de ce monument aux morts sur la place : un soldat, souvent coiffé d’un pigeon dérangé des intestins, y brandit un rameau d’olivier, le fusil à la main et du sang sur les bottes.
 

Café de la paix ! En face de la maison de la presse ! Ah ! Les petites villes de campagne… Je serais mort il y a quelques années, ici, rien qu’à regarder les grands-mères grises et courbées qui traînent leurs paniers vers un horizon de marbre.
 

Aujourd’hui, ça me va, je suis là, au fond à droite, dans le coin opposé à l’entrée, l’endroit le plus stratégique. Je surveille la porte des toilettes, le bar et j’ai une vue imprenable sur la vitrine de la boucherie de l'autre côté de la place.
 

La radio passe des vieux tubes. La patronne en salopette, maquillée façon perdrix, fait sa vie, perdue entre ses verres poussiéreux et les cartes postales reçues de pays lointains. Elle est assise sur un congélateur MIKO, de l’époque où c’était drôle qu’un petit esquimau nous refourgue des glaces, et elle discute avec un gars du cru.
 

Du bois vernis partout, des torsades, des miroirs piqués, des fleurs en plastiques et des vraies mélangées, des rosaces en plâtre au plafond, la déco de Noël qui résiste aux années, un perroquet vide à côté d’une pile de chaises et surtout, au fond à droite, des banquettes spacieuses et confortables molletonnées de velours côtelé orange sur lequel présentement je suis assis en train d’écrire cette prose prosaïque du jour...
 

Johnny se met à hurler dans une enceinte au-dessus de moi :
 

"Je te promets des jours tout bleus comme tes veines
Je te promets des nuits rouges comme tes rêves
Des heures incandescentes et des minutes blanches
Des secondes insouciantes au rythme de tes hanches"
 

Deux filles près d’un drapeau australien, reprennent le refrain à la volée. Je cherche les mots en fixant d’énormes lampions chinois rouges frangés d'or et d'argent.
 

Au milieu du café, une barre ronde part du centre d’une table pour s’enfoncer dans le plafond. Il ne manque plus qu’une de ces élégantes praticiennes de pole danse, ou un cheval de bois empalé qui monte et qui descend, voire les deux.
 

Je suis seul à boire des allongés et à écrire.
 

Je ferme les yeux quelques secondes et le cheval vient me lécher avec sa langue en sucre d’orge. La danseuse s’enroule dans un drapé de soie et vient jouer aux échecs avec moi, je suis sûr de perdre parce qu’elle suce la tête des pions en attendant son tour.
 

Au bar, quelques cow-boys préparent un mauvais coup et de jeunes fugueuses romantiques écrivent des poèmes à l’eau de chardon sous les flots de leurs cheveux noirs. Une fleuriste globicéphale empoisonne tout ce beau monde avec ses soucis.
 

Je pleure, le visage entre les seins de la danseuse, échec et mat. Doucement, elle me caresse les cheveux, me commande un sonnet sur sa lune et ramasse une liasse. Un homme étrange en smoking noir pique les mouches une à une avec une broche dorée avant de les mettre dans une petite boîte d’ivoire, elle se glisse sur ses genoux avec amour.
 

Près de la boule à facette une plante carnivore se tortille. Une grande femme sort des toilettes le front en sueur et se fait attraper le bout de sa traîne de plumes par la bouche dentelée du végétal affamé.
 

Je soupire et le son de ma voix se mêle au gémissement d’une Anglaise soûle que Serge Gainsbourg lutine juste à côté de moi sur l’air de "je vais et je viens" joué à l'accordéon par un vieux qui ricane.
 

Je reviens quelques secondes au réel, je finis mon deuxième café, mais malgré les bruits de vaisselle qui caracolent dans les espaces vides pleins de toiles d’araignées, il me semble que tout est encore rutilant de délire autour de moi, tout est enchanté.
 

Il est temps de partir. Le Café de la paix est plein comme un œuf. Je vais laisser tout ce beau le monde ici et reprendre l’aventure seul.
 

J’embrasse la danseuse. Oh ! J’adore les danseuses, elles parlent sans mot dire, silencieuses dans les spires du temps, gracieuses petites galaxies en tutus.
 

Sur la place, le monument aux morts a fait place à un monument aux vivants. Il y a un toboggan, des fruits offerts et les enfants chantent des chansons sur les animaux disparus…
 

Ma clé électromagnétique déverrouille le sas d’entrée de mon module d’extraction de l’endroit où je suis encore. Je viens de changer les torpilles aux gluons, ce n’est pas le jour pour me couper la route.
 

Vous voilà prévenus !
 

Vendredi 06 Septembre,
 

Enfin, l’angoisse de la page blanche. Depuis le temps que j’en entends parler, la voilà. Rien à dire, les mots écrits sont vains, ils tombent comme la pluie sur du ciment et filent en petits ruisseaux vers le grand tout-à-l’égout de la noosphère.
 

La page blanche et tout de suite : la neige, les skieurs, l’ours polaire, les glissades. La page blanche et le lit vide, l’espace silencieux, le fromage insipide, comme si on nous avait pris l’essence, nos sens, le sens de tout.
 

Le plus dur c’est de ne pas effacer au fur et à mesure que l’on écrit, comme ces petits cachotiers qui laissent trainer des branches dans la poussière derrière eux pour qu’on ne les retrouve jamais dans leur cachette infâme.
 

Le plus dur c’est d’avancer, de noircir la page et d’accepter ce jus ennuyeux que l’on dépose sur la pureté d’ivoire frémissante. L’accepter, le corriger, et le partager… Mon dieu, trouvez-moi un arbre pour me pendre…
 

Cette fille, une page blanche tout sourire. Saphir, or, rubis, marbre, nacre et tutti quanti, plus belle que dans les rêves. On sait bien que si on creuse, si on la change d’un coup de baguette magique en sorcière et avide et pathétique, on aura perdu le meilleur. Laissons les anges aux nuages et les pages blanches sur le bureau.
 

Un angle d’attaque, oui, c’est ça ! Un putain d’angle d’attaque. Ça ne sert à rien d’écrire sans un angle d’attaque… C’est comme en bricolage, on cherche comment faire pour que ça marche, quel outil, quel système, quelle colle, quel vis. Et une fois qu’on a trouvé, parfois, ça roule…
 

Mais là, la page est collée sur mes paupières, à part filer la métaphore… Soupir ! Je ne vois pas ! Les mots semblent mous. Même les plus audacieux tombent à l’eau.
 

J’invoque : énamourée, cyclope, métatarse, signe, foutre, lycaon, mellifluent, corsaire, mycéliums, purée, mouclade, amphitryon, glamour, escarcelle, annélide, vernaculaire, insubmersible, pique assiette… Pff ! Que dalle.
 

Oh puis zut ! Aujourd’hui, je cale…

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Haïkus de plage

Mes premiers haïkus de plage :
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lèche-vitrine
avenue de la plage
cent parfums de glace
 

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vent du large
les grains de sable s'accrochent
aux grains de sable

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marée montante
un haïku secret
s'efface

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ma fortune
aujourd'hui
une poignée de sable

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dans le vent
des drapeaux
érection matinale

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château de sable
il était pourtant
solide

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grosse fatigue
au bout du rouleau
l'océan

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face à la mer
assis dans le sable
médusé

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tumulte océanique
le bruit de l'odeur
des algues

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L'euphorbe

Hier, vers 18 h, alangui par de longues heures de voiture et par une prestation éblouissante au cinéma Jean Renoir d'Eysines, je m’allonge au milieu des chèvrefeuilles et des herbes folles, au bord d’un plan d’eau, dans le parc de Majolan à Blanquefort, pour composer quelques haïkus et chercher le sommeil…

Et, alors que cédant à la pesanteur de mes paupières, j’accomplis presque totalement cette tentative d’assoupissement, sur le tronc de l’arbre sous lequel je m’étais installé, dans les bouclettes d’une mousse un peu sèche qui n’était pas sans me rappeler certaine bouclettes chères à mes lèvres de jeunesse, deux « Pyrrhocoris apterus », ou encore, « cherche-midi », appelé aussi, "soldat rouge" ou "gendarme", étaient en train de s’accoupler, (si on peut parler d’accouplement, tant le manque de sensualité émane de la posture dos à dos de ses bestioles en plein échange de liqueurs séminales).


Alors, juste avant de plonger pour un petit somme, j’ose une haïcouillonade bravache et je poste dans le groupe des spécialistes de la chose, j’entends des spécialistes de haïkus en langue française, groupe que pour des raisons évidentes, je n’oserais plus nommer de mon vivant….


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sieste microscopique
sur un tronc dans la mousse
deux gendarmes s'enc...


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Lorsque je me réveille, comme une fleur, au milieu des pâquerettes et des petits trèfles moelleux à tendances terrestres, mon premier réflexe sera d’ôter la mince couche de pétales de merisier qui jonchent mon corps d’albâtre offert aux mâchoires des brises printanières, et puis, me penchant au-dessus de l’onde claire de l’écran de mon smartphone, tel Narcisse, je m’en vais contempler les reflets frauduleux de ma beauté intérieure et regarder si, parmi les jolis haïkus que j’ai écrits dans ce parc édénique, certains avaient charmé mes amies et amis haïjïns…


J’avais un fol espoir, je misais sur un haïku incroyable :


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chanson du vent
la grande euphorbe
tout ouïe


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Il y avait tout dans ce haïku, du mystère, de la contemplation, et même le "ouïe", visuellement, pour qui connait les fleurs d’euphorbe, rondes, vertes et légèrement coniques, ressemblant à des oreilles d'extra-terrestres, même le ouïe, graphiquement, était assez juste pour évoquer ces inflorescences étranges que j’avais surprises à danser dans le vent tout à l’heure en dégustant à la maison des jardiniers du parc, une sorte de "bouiboui bobo", un coca zéro plein de glaçons garantis sans poils d'ours blancs.


Je m'étais bien creusé la tête !


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fleurs d’euphorbes
pour elles seules murmurer
un dernier secret


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à l’écoute de la planète Mars
les fleurs d’euphorbes
impénétrables


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Mais de toutes ces versions, aucune n’avait abouti... et seule la dernière me sembla tout simplement en équilibre avec le cosmos !


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chanson du vent
la grande euphorbe
tout ouïe


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Quel ne fut pas ma surprise de voir que le haïku qui avait le plus de commentaires et d’appréciations était celui des gendarmes… Et avec des questions en plus, complexes et pertinentes, auxquelles je ne me suis pas dérobé…


~~~


MONSIEUR F : Comment font-ils pour s'enc… en même temps. En général l'un enc… l'autre ?


MA RÉPONSE : Je suis un peu désolé de m’apercevoir que cette haïcouillonade à propos des gendarmes déclenche tant de questions et de sollicitations, à croire que les haïjïns sont des adeptes de la gaudriole !


J'essaye d'écrire des haïkus rigoureux en observant la nature... et cette fois, rigoureusement, deux gendarmes, aussi appelés punaises du diable, me sont apparus, tout près tout près, alors que je m’allongeais pour une petite sieste, sous un charme, dans un parc, après une journée particulièrement mouvementée...


Les gendarmes s’accouplent dos à dos, et mon cher Monsieur F, il est pratiquement et malheureusement impossible de savoir lequel encule l'autre. J'ai pourtant utilisé la loupe de mes prunelles pour voir au plus près. J'ai senti leurs vibrations d'antennes, leurs souffles rauques d'insectes, mais au niveau de la connexion, la vérité, comme une savonnette sous la douche, s'est dérobée...


MONSIEUR F : Je suis désolé mon cher Jean Baptiste, le pouvoir de suggestion du haïku et son rapport au double sens, me fit voir deux mammifères mâles policés appartenant aux forces de l'ordre...

MA RÉPONSE : Et bien pour apaiser vos interrogations, je vous suggère de revoir la notion de temps linéaire lors d'un rapport amoureux, et d'imaginer, que pour le poète, - et même si dans la chronologie banale les choses sont à « la queue leu leu », j'entends que "les gendarmes en chair et en plexiglas de votre imagination tordue" pratiquent chacun leur tour - , et bien pour le poète, le rapport amoureux est un espace où le temps se télescope, donnant cette illusion gourmande d'interpénétration sans besoin d’accessoires superflus...

Ce qui me permet au passage de vous glisser un petit haïku d'amour inspiré de ces phénomènes d'abolition du temps et de l'espace...


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nuit d'amour
entre ses bras en trois secondes
mille fois le tour du monde


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J'espère avoir dissous vos doutes Monsieur F, je vous souhaite une bonne journée, et mille fois pardon si vous faites partie des forces de l'ordre et que votre œil encore plein de larmes dont on ne sait jamais si c’est du lard du cochon ou du gaz lacrymogène, me laisse tout désarmé pour prévenir votre suicide de mes embrassades et autres tendresses à la chaine de vélocipède.


~~~


J’ai clos la discussion, et j’ai élargi ma méditation… Une envie de partage et de témoignage m’a traversé et je me suis lancé dans cette rédaction que pour le plaisir de vos pupapilles, je vais clore avec un vieux haïku de ma collection privée.


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duo de mouches
celle du dessus
pinaille

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Haïkus de printemps

Le printemps suit sont cours, dans le fleuves du temps, les pétales, les uns après les autre coulent vers l'abime composteur... Dans le parc de Majolan à Blanquefort, il y a des petites fleurs, et des haïkus qui trainent !

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pétales de cerisiers
dans le cœur des flocons
de folle avoine


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sur le vieux mur
explosion de glycine
Pan est de mèche

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allongé dans l'herbe
ce ciel ! une plaque de marbre

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chanson du vent
la grande euphorbe
tout ouïe

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assis sous un charme
au printemps
j'ai trouvé ma place

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pleine lune
ce soir où les pâquerettes
complotent

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