Le dernier bûcher

Tu as choisi la colline de mon enfance, là où les fleurs sont jaunes, si jaunes qu'on l'appelle la colline aux étoiles de terre. J'y suis allé souvent, regarder le soleil mourir, alangui dans ce bain de ciel de lumière et de sang. Ici j'ai chanté sur les pierres, la vie, le vent. Mes cheveux dansent encore dans les grandes masses d'air qui se chahutent sur les flancs herbeux.

Tu as choisi du bois, du bon bois de hêtre et de bouleau. Des branches de bois mortes dans cette forêt, dans cette forêt où j'ai traîné, où j'ai laissé traîner mes doigts, mes doigts qui caressent le monde en chantant. Quelques uns de mes meilleurs amis, crapauds, mulots ou corbeaux, t'ont vu ramasser les branches dans les feuilles, ces feuilles où je dormais souvent, où je dors ivre de l'odeur de la terre.

Tu as choisi le printemps, et le ciel est à la démesure de cette saison d'apocalypses où l'on peint les averses dans les pommiers détrempés. Poignées de pétales balancées de nids en arcs en ciel foudroyés, perles d'argent dans les lames vertes du pré bouleversé et tous ces cœurs qui se gorgent à crever de désir, de miel et de charogne.

Tu as choisi le feu, pour en finir. Je chante dans la fumée. Le souffle de la braise me grise en me grillant et l'odeur d'un festin arrive à mes narines. Je ris et chaque éclat est une graine qui sème le rêve ici bas, sur ta planète sans sorcière ni magie.

Caravelle


Navire aux voiles déchirées
Claquant dans la tempête de la vie
Coque que l'océan écorche
En longs frissons de sueurs froides
Matelots verdâtres
Dont l'unique chanson
S'étouffe à gorgées de rhum
Assaisonnée de pluies glacées
Cordages où les mouettes
Mazoutées et maussades
Évident leurs cloaques
Sur les nuques brisées des esclaves

Voici mon navire
Je l'ai nommé "Mélancolie"

A sa proue j'ai ligoté ma muse
Oh oui ! C'est elle qui se tord
Face au soleil couchant
Rouge sang sur flots d'encre anthracite
Elle que les abîmes au passage caressent
De leurs tentacules de velours

Ouvre-nous la voie
Égérie malade de la désespérance
Inspiratrice macabre et ombrageuse
Ouvre nous la voie
Qu'on se marre un peu

Sombre jardin

Assis nu
Dans le jardin
C'est moi la lune ce soir
J'écoute les grillons
Et les bruits du village
Qui s'endort


Un ver luisant
Dans les iris
Raconte que les étoiles
Se posent au petit matin
Et font la rosée
Mon œil...

Un lampadaire
Et son émeute de papillons
Inonde mon rêve
De lumière crue
Donnez moi
Un lance-pierre

Sur la table
Des allumettes éparses
Au bout noirci
Un enfant a joué
Avec le feu
Aux dieux

Je fais un petit fagot
J'allume
Mais le rideau
De la nuit
Ne prend pas
Dommage

Je m'allonge
Dans mon lit
Comme dans un cercueil
Je ferme les yeux
Et je file hanter
Les forêts violettes
Et les sommets cornus

Même dans la nuit
Je cherche de l'ombre
Pour briller


Inventaire Botanique

Il y en a des plantes, dans les gorges de l'Arac :
Des aulnes, des saules, des tilleuls, des sumacs,
Des robiniers, des érables, des châtaigniers,
Des ormes des montagnes, des hêtres, des noisetiers.

Depuis mon automobile j'observe les pissenlits.
Pas gênés les cons ! Ils poussent à ras l'goudron,
Avec le plantain, et puis l'chiendent aussi.

Plus loin dans le fossé, les orties avec passion
Annoncent un sol riche, propice aux ombellifères
Aux berces, à la ciguë : celle qui emporta Socrate.

Un sous-bois abrite des scabieuses délicates,
J'imagine à leurs pieds, des géraniums Robert.
Sous l'ombre cristalline et sombre d'un grand frêne
Peut-être des violettes, des fougères qui se rouillent

Un chèvrefeuille tout seul, perdu, pendouille
Je le sens, citronné, dans le brouillard des prêles.
D'immenses cortèges de balsamines au désespoir,
Car le soleil n'est plus aujourd'hui qu'un souvenir,
Agitent leurs fleurs fades, roses et blanches. L'ivoire
Des reines-des-prés calment les fièvres à venir.

Un peu en contrebas, des renouées du Japon
Forment de grands buissons au bord de la rivière.
Les arbres rescapés de cette triste invasion
Offrent leurs squelettes à notre ami le lierre.

Sur le schiste dénudé, la bande des bryophytes
Et d'étranges graminées gardent leurs noms secrets.
Sinon, ruine de Rome, capillaire, sedum étoilé,
Et dans les coins cachés les scolopendres qui profitent.

Je roule tranquillement, les locaux me klaxonnent !
Qu'ils doublent ! Ils sont pressés ! Ils ne manquent pas d'air.
Tiens, un versant calcaire ! Voilà qu'les buis foisonnent !
Les fragons et les houx s'offrent aux lichens verts.

Une épingle à cheveux, vroum ! Nous voilà vers le sud.
L'origan Marjolaine au milieu des épis
Chante pour mes gigots. J'entends presque le "oud"
En frôlant les fenouils et leurs fleurs jaune anis.

Parcimonieusement, comme pour nous distraire,
Un bâtonnet d'encens trempé dans la moutarde !
C'est la molène noire qui joue les filles de l'air
Quand celle au bouillon blanc concurrence la bard-
- Ane, qui par ici, est une plante éléphant.

Décidément ces berges, véritable écotone,
Offrent une diversité, un panel étonnant.
Dame nature, notre mère est trop bonne.

Sortant du lot, on voit dans les villages,
Des rosiers fuchsias, rutilant bien pomponnés,
Des liserons vrillés sur quelques vieux grillages,
Et des pommiers anciens, parfois même des palmiers,
Des bambous, des thuyas, des prunus écarlates,
Des mélèzes bleutés, des glycines enfleurées,
Des bignones, et des campanules des Carpates
En lutte avec les joubarbes sur les murets.

Je vous passe les hérésies du père Bud
Et son arbre à papillon. Les paraboles
Des carottes sauvages. Elle en eut de
De notre bonsoir, dame sureau, la folle ;
Qui derrière ses feuillages sulfureux
Cache des portes pour le monde des fées.

Il y avait bien d'autres plantes, pardonnez-moi du peu,
Mais j'étais au volant, l'endroit est escarpé...
C'est l'heure de mon café avec les belles-de-nuit.
La vigne vierge s'ennuie, malgré toutes ses abeilles.
Mes pieds nus dans le trèfle, ma tête dans l'millepertuis
Je cueille ce poème que j'ai semé la veille.

Boire sa nuit !

Boire sa nuit comme du petit lait
Jusqu'à l'encre dorée
De l'aube
Vivre à en crever
Pleurer de rire
Saler son pain avec les larmes du bonheur

Être ce miracle mystère
Entre le ciel et la terre
Chevauchant des nuages de poussière
Être l'orage chatoyant
L'averse salutaire
De sa joie la plus triste
Composer de belles prières païennes
Pour l'ombre des arbres
Pour le chant des ruisseaux
La douceur du repos
Les plumes
L'eau

...  

Un tissu se déchire
Derrière sa ruine le ciel est pur
Ce jour est la dernière page du monde
Elle est pour toi
Un tissu se déchire et dans les plis froissés
Juste de la poussière
Un tissu se déchire et derrière
Un éclat, un diamant, une source, un baiser, que sais-je
Une étoile un peu rose qui fredonne en secret

Bois ta nuit comme du petit lait
Jusqu'à l'encre dorée
De l'aube





Mille feuilles

Je suis sous un mille-feuille, un vrai : un arbre ; un hêtre au vaste port tapissant.

Il est si touffu qu'il fait toujours nuit sous ses branches. Et lorsque parfois la lumière du soleil arrive jusqu'au sol : — « Ô l'ardent ruissellement d'émeraude ! » —, en levant la tête, il faut chercher le trou, comme on cherche une étoile dans une nuit de nuages.

Cet arbre, c'est une source de fraîcheur. Rien qu'à songer à ses racines qui puisent dans l'obscurité l'eau cachée pour qu'elle remonte jusqu'aux feuilles, je suis émerveillé.

Après avoir bu quelques gorgées sous son ombre épaisse, j'ai bien du mal à le laisser : à retourner dans la fournaise.