Eclipse

coup de foudre
la coquille de l’œuf se fendille


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plus délicieuse qu'un pieu dans l'œil d'une baleine, entre deux passages de constellations, la nuit flagrante frissonne encore de tes tourbillons.

j'ai un pinceau de toi dans la main
de toi j'ai la soie d'un soir en fleur comme empreinte

je peins
je peins ta peau partie
je peins ce cercle de feu qui me reste de nos fiançailles primitives
un cercle rouge
ta bouche et ses émissaires griffus
tes attributs de déesse fétiche

tu ruisselles de lumière dorée comme si les étoiles te traversaient éclatant sur le papier les mouvements fous de mes souvenirs.

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coup de foudre ~
la rose solitaire s'est envolée


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plus délicieuse qu'un rassemblement de fruits rouges dans une feuille de menthe, entre deux passages de constellations, la nuit hurle encore et ouvre tes louves sous la lune qui montre ses dents.

j'ai un pinceau de ta soie
toi ma fuite merveilleuse
j'ai de quoi peindre pour mille ans

tu es partie sans arracher les tapisseries
tu as laissé les chants et les tonnelles fleuris pour l'éternité
tu es partie avant la ruine et c'est comme si tu étais toujours là


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coup de foudre ~
le bruit est resté dans la terre


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plus délicieuse que le point final d'un poème haletant, entre deux passages de constellations, la nuit noircit encore sa charbonneuse étreinte en l'honneur de tes robes noires

j'ai un pinceau de toi
j'ai gardé ton empreinte en moi
et ça va


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coup de foudre ~
doucement le tissu se déchire 




Angoisse

À l'envie le vent déballe tes volutes parfumées.
Noyers, pommiers, chênes verts et abricotiers s'en balancent.
Grouillante de vie, H²O creuse un lit. Un calumet
Orné de feuilles et de fleurs feintes turbine tes flagrances,
Inspirant à ta bouche la plus indécente des moues.
Sifflement, bruit de cailloux, éclatement de nœud de branches,
Sourires saignants, soupirs salaces, salade salope, caramel mou,
Écumoire en zinc. Entre tes mains encore une nuit blanche.

Ruine

J'aime les ruines. C'est de la nostalgie en pierre et en lierre. Lorsque que je tombe sur les restes d'une maison en train de s'effriter comme un chicot, je sens les vies passées par là et leurs fantômes glissent leurs palmes mélancoliques dans les nerfs fragiles de mon cœur affolé.

Je touche les pierres et je contemple ma ruine et, précipitant des turbulences ricanantes dans l'espace-temps, l'envergure obscure de mon désespoir claque comme une paire d'ailes de vautour qui s'arrache du sol.

Je touche les pierres et mon enfance est là. J'habite la demeure un moment. L'odeur de la mousse se mêle à l'odeur de l'humus. Des années de feuilles mortes retenues par les restes de murs, ses murs qui retenaient la chaleur d'un foyer.

Je touche les pierres et mon espérance grouille. Je calcule l'énergie qu'il faudra pour tout reconstruire, les ongles retournés, la sciure, la terre à nue, la boue des jours de pluie, le sang, la sueur, les rires nécessaires pour remettre un toit, là, sur cette ruine.

Je touche les pierres et je reprends ma route, laissant tous ces rêves passés et futurs aux outrages du temps, aux longs grignotages des cloportes, à la succion des vers, aux piqûres des becs fouineurs, au vent, à la pluie, aux racines, aux coups des enfants hystériques.

Dans les branches tortueuses de ma mémoire, la ruine devient un nid de plus pour les petits corbeaux qui voltigent en permanence dans ma boite crânienne, essayant sans y croire de gober l'araignée qui se balance au plafond.


... à écouter "Ruine" de Bertrand Belin







Goutte à goutte

J’écoute la pluie chanter sur les tuiles. C'est un samedi à la lueur des cumulus grisés. Des oiseaux abrités chantent un peu et parfois s'arrêtent, sûrement effrayés par une goutte plus grosse que les autres qui après s'être bien imbibée de crasse tombe sur leur crâne duveteux. Des cris et des rires d'enfants arrivent du stade, là-bas derrière les ravins de tuile. Ça sent le béton moussu, le fer rouillé, le sang dans la bave, le bois mort glissant.

Tiens ! Une sirène s'allume et ne s’éteint pas. Bienvenue en direct dans mon cerveau.
Des cloches au loin, très loin dans la brume. Le "slurp" des pneus d'une automobile roulant dans les flaques : explosion qui pétille, qui mousse et qui se couche en brève ondulation. Je ne suis pas triste, je ne suis pas angoissé, je suis juste loin, très loin.

Ça fait bien longtemps que je n'ai pas marché sous la pluie buvant et respirant d'une même bonne foulée fugueuse. Ouais ! C'est un temps à faire une fugue. Un temps à écouter Tabula Rasa d'Arvo Part. Un temps à ramasser ces grandes limaces oranges et à les manger en regardant les gouttes de pluie frémir en équilibre sur les feuilles de chélidoine.

J'imagine dans les caniveaux les ruisseaux de pluie qui fredonnent avant de mourir dans les bouches d'égout. Les fossés gorgés d'eau. L'herbe coupante et trempée qui fouette dans mon sillage. La ronce tendue, accrochée à ma peau, ma peau qui cède par à-coup. Tout un monde de goutte à goutte sanglant et parfumé à la portée de mon désir de promenade.

Partir sans munition, tête vide, bouche ouverte. Suivre les souillures du bord de la route. Marcher sans trêve, jusqu'au sang. Se fusiller de fuite, de claudication et laisser derrière pour toujours cette coquille vide.

Son chez soi.

Corps à corps

Je n'avais pas encore clairement identifié la menace. J'avais bien quelques soupçons, de brèves fulgurances, juste de quoi planter un uppercut au foie ou un crochet au menton, mais la plupart du temps je luttais dans le brouillard contre un monstre aux ombres coupantes et que l'on nomme destiné.

Le terrain était ingrat et la bête mauvaise. La chance une putain toujours indisposée. Le combat inégal prenait beaucoup de temps et me laissait souvent à l'affût, immobile, les yeux malades de rage de ne rien voir de plus qu'une ombre un peu maussade. Les coups que je donnais, je les prenais aussi et ma victoire sans doute aurait été ma perte.

Il a fallu du temps et des litres de sang, des alarmes, des rires, des orgasmes éblouis pour que tu apparaisses enfin à la lumière. Toi mon unique adversaire depuis la nuit des temps. Alors, c'est fini les croche-pieds, les frayeurs subites, les mensonges prisons, les fuites indéfinies.

Tu es là. Le corps à corps nous berce. Nos lames essuient nos larmes roulant sur nos trachées. En plus d'être au combat, je ne suis plus jamais seul. On négocie, on s'aime, on parle, on se distrait. On dirait que la paix est possible parfois. Parfois non, mais l'on rit de cette atroce joute sans fin et sans merci qui unit nos deux forces.

J'apprends à te connaître, à me faire connaître, à te comprendre, à me faire comprendre. Notre différend c'est la peur, c'est l'ennui, c'est le corps et l'esprit, c'est la mort et la vie. Rien de bien méchant.

- Regarde là bas ! Non ce n'est pas un piège ! Il y a des arbres, de l'eau et des fleurs légères. Il y a aussi des pierres cent mille fois millénaires.

 Allons nous reposer un peu sous cette croix de fer !

Accrochage

Mon esprit s'accroche partout. Il se pose, drapé soyeux sur le monde, et lorsque qu'une chose déploie un peu sa bizarrerie de façon piquante, il s'accroche et se troue, sonnant l'alarme pour mes quatre mille deux cent trente-trois sens.

Hier ce fut les bourgeons de peupliers luisant de propolis, émaillés de givre, balancés doucement par un air sublime et glacé. Aussi dans le désordre de la vie : des ongles rouge sang accrochés à une jolie main blanche, la silhouette louche des troupeaux de chênes en contre-jour d'un coucher de soleil violaçant, la tourterelle turque sur l'antenne télé du voisin, une jonquille plantée dans le volcan de mon cœur qui fane doucement en signe de désespoir, des minutes de silence à la mémoire de tous ses chevaliers morts de honte de n'avoir pu sauver personne, des chansons d'amour pleines d'illusions et de violons, des promesses rassurantes coulant comme du poison sur les braises ardentes de l'impatience...

Mon esprit s'accroche partout. Il se pose, drapé soyeux sur le monde, et il s'étire. Les images, les souvenirs, les émotions, les désirs, les mensonges, toute cette bande de choses qui tire à hue et à dia écartèlent ma frêle et sensible toile. Je pleure. Parfois de grosses mouches anthracites pleines de tourbillons pétaradants et morbides la traversent en faisant toute sorte de trous et d'effilochages. L'alarme hurle alors ses imprécations stressantes, mais je ne me déplace pas pour cela. Ou si peu, juste un petit sursaut... La mouche repart souillée par mon silence et je m'applique à réparer la toile. Toujours plus fine, plus sensible. Je veux sentir le moindre crissement de feuilles mortes, le moindre soupir de papillon. Je veux chaque baiser comme unique entre mille baisers.

Mon esprit s'accroche partout. Il se pose, drapé soyeux sur le monde, et s'endort. Les étoiles, les matelas comblés de corps, les nuages de nuit, les mouettes posées sur l'eau noire de la Garonne, le sang sous la chair qui ruisselle comme ces torrents de montagne que l'or des soirs fait mousser sonnant et trébuchant. Toutes ces images, ces petits trésors, je les couvre sous la couverture tiède et douce de ma pensée avant de sombrer peut-être pour toujours dans le néant. Il ne faut pas négliger tout cela avant de s'endormir, car nul n'est sûr de se réveiller.

Mon esprit s'accroche partout. Il se pose, drapé soyeux sur le monde, et aussi donc sur les dépouilles des morts qui nous sont chers et sur les dépouilles de ceux que l'on voudrait plus morts encore, morts au point de n'avoir jamais existé... Le réel a ceci de glaçant : pas de paradis, pas d'enfer, pas de justice après la mort, pas de bon ou de mauvais dieu, juste ce perpétuel héritage que l'on appel présent et que se partagent les survivants.
« Ne vous battez pas, il y en aura pour tout le monde. »

Tiens la tourterelle turque viens de s'envoler de l'antenne télé du voisin...

Le mouron des oiseaux a envahi mes jardinières délaissées, mais je connais un enfant et une fille aux longs ongles rouges qui vont m'aider à faire pousser de la menthe et des capucines sur mon balcon.