L'usine

J’ai passé toute ma journée entre les poutrelles métalliques d'une usine à l'abandon. Les particules d'amiantes, de rouille, de tissu synthétique imprégné d'urine de rats malade, et autres poussières grasses et collantes, je le sens, marinent encore dans les plis roses de mes jolis poumons de non-fumeur invétéré.

Durant ma visite, une alternance d'averses, de vent et de violentes éclaircies ébranla cette grande baleine de brique et de métal échouée prés de la rivière. Dans la carcasse, goutte à goutte verdâtres et luisances irisées douteuses renforcèrent ma sensation d'être un parasite mastiquant un chemin dans le ventre d'une immense charogne.

Le patron a récupéré ses billes il y a longtemps et joue avec sur les plages de Birmanie. Les derniers ouvriers agonisent lentement, tout nostalgiques, dans la maison de retraite à côté du crématorium.

Ce qu'il reste c'est de la poésie, celle des ruches sans abeilles, celle de la désolation, la même que celle des chagrins d'amour, et que celle de la cuillère qui tinte dans les ténèbres amers du café de ce jour.

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humour d'asticots
rien n'est plus vivant
qu'un cadavre

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Marjolaine

soleil automnal ~
une pomme sous mes crocs
éclate en morceaux
l'amande amère des pépins
me ramène ton souvenir


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... L'autre fois, troublante, de la marjolaine, avec son odeur mauve, petite fleur que j'avais arrachée à sa colonie pour pimenter ma promenade.


... De la marjolaine donc, dont la tige roulait entre mes doigts alors que d'autres parfums encore, comme seule une nuit fraîche peut en suinter, agaçaient ma narine.


... De la marjolaine si pimpante dans le brouillard, agaçant mes narines, pimpante sous les étoiles, qu'on imagine parfois à défaut de les voir, que je m'étais arrêté pour la regarder longtemps.


... De la marjolaine qui, étrangement, avec tout ce silence de nuit, avec les effets de lumière des éclairages publics, avec cette somnolence que je traîne lorsque c'est la fin de mon errance nocturne, avec les pas feutrés des chats dans l'herbe et sur les planches humides du jardin botanique ( j'étais « allée Giono », juste à côté ) ; va savoir ce qui se passe la nuit, entre chats et souris et ... serpents...


... De la marjolaine, pardon, je me perds...


... De la marjolaine qui me poussait à divaguer, pour ne pas dire divaldinguer, divalsouiller ou diva dingue et trop gaie... enfin tu vois l'idée.


... Je tiens à vous rappeler qu'il y avait un très léger brouillard, peut-être une fumée toxique, ou bien des larmes dans mes yeux... la cataracte !... Je ne sais pas... Bref... Un sentiment impossible à décrire, floriforme sans doute, enraciné dans les frais souvenirs que j'avais d'elle.


... Une impression plutôt qu'un sentiment, si je dois être tout à fait honnête. Une impression donc me ramenant à sa présence ici, sur terre : dernier élément d'une pentagulation démoniaque : étoiles invisibles, brouillard, nuit, petite fleur mauve.


... Mon impression, pour ne pas dire mon frisson, était que cette fleur, peut-être, était la clef.


... Oh, ce n'est pas tout à fait ça, mais les mots nous trahissent comme seuls peuvent le faire les meilleurs amis.


... De la marjolaine donc, et à cet instant cristallisant un puissant sortilège, la lune est apparue, j'ai respiré le brouillard et j'ai plongé dans un autre monde.


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l’arbre est agité
et bruisse dans la grisaille
il y a du vent
tous ces rêves qu’on retient
un jour d’automne s’envolent*


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Ecrire

matin gris
je caresse l'espoir il s'enfuit


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Le vieil encrier se renverse sur la page blanche, par chance, il est vide, ou bien l’encre est sèche. J’enfonce mon doigt à l’intérieur, long frémissement de l’encrier, et à l’intérieur : pfff ! de la poudre noire...


J’ai dans une boite des plumes. Une grande boite. Plus jeune, j’allais chercher de quoi écrire un peu partout, et je m’enorgueillis d’une belle collection. De l’oie, de la buse, du vautour, du corbeau, de l’ange, du paon, de la dinde, j’ai même de l’autruche.


Mais, ça me pèse sur le poignet l'autruche pour écrire, alors je l’utilise uniquement pour les poèmes en une seule syllabe. «Crac» est le plus connu, et bien qu’un peu complexe pour un monosyllabique, ce poème j’en suis fier, les enfants l’adorent. Même les cancres l’apprennent en une seconde.


Malheureusement, et comme par hasard, il n’est jamais au programme. Pourquoi donc ? Je vous le donne en mille, c’est plus facile de faire croire aux enfants que la poésie est un truc ennuyeux et long, plutôt que de les faire trimer sur le pourquoi du comment !


Bon ! En ouvrant la boite à plume, je découvre l’ouvrage de ce salopard de temps. Les calamus sont encore bons, tout taillés qu’ils sont, en pointe - certes émoussées - mais taillés par la lame de ce coupe-chou dérobé en 1973 sur le tournage de « mon nom est personne » ; mais pour ce qui est des barbes, c’est la crise. Tout tombe en poussière : autant prendre des crayons !


La table est là, elle, bien là, vermoulue comme j’aime, un peu branlante à cause d’une de ses pattes trop courte. Je la regarde tourner en rond dans la cour pavée de granits obsolètes. Brave petite table qui galope sur trois pattes ! J’ai ai des larmes qui perlent des perles car je suis verni.


Par contre, je ne vois pas cette satanée chaise, elle doit encore être partie à Cuba se faire fumer les barreaux. Je renonce définitivement avec elle. Si je la croise, je la fracasse illico dans la porte de la chambre qui aime bien un peu d’action de temps en temps.


Enfin, il y a aussi des tas d'autre raisons pour ne pas écrire ce soir. Que voulez-vous ? Encore une histoire d’amour folle et romantique dont l’issue est déjà connue au départ, et dont (même si la "framboisie" des cœurs sauvages s’entredévorant au couchant regorge de geysers spasmodiques et jouissifs) le sujet sera épuisé avant même d’avoir trouvé une pieuvre fraîche et lui avoir soutiré quelques centilitres de son jus le plus noir.


Voyez, c’est pas simple d’écrire, et encore, je suis sympa, je ne vous parle pas de l’inspiration qui, maitresse hystérique, et c’est de notoriété internationale, vous attrape à n’importe quelle heure pour vous faire cracher au bassinet ou vous laisser en plan au bord de la route, au milieu des poils pubiens, voire dans les beaux draps d’une femelle hôpital aussi impitoyable qu’une mâchoire de dobermans sous amphétamines.

Alors c’est décidé, ce soir, je prends mon gilet jaune et je bloque toutes les issues de mon cerveau. Je n’écrirai pas une ligne dans de telles conditions de travail !


~~~


route de nuit
j'écrase un petit chagrin














Bois moussu

bois moussu
le rêve monte au nez
de l’explorateur


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tout contre la falaise
j'écoute le silence
de la pierre


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contemplation
les arbres respirent
le ciel


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fils d'argent
dans le soleil l'araignée
tisse une source


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blues des baies
près d'un genévrier
gratte un grillon


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l'odeur de la rivière
emporte mon regard
le soir s'écoule


Les tomates

Les histoires de fruits et de légumes n’ont de sens que si elles sont fraîches et du jour. Il y a à peine quelques heures, au jardin dit botanique de la rive droite, j’ai eu une incroyable discussion avec une voleuse de tomates. Elle furetait autour du carré de ces belles solanacées que les paysagistes-ethno-socio- éco-magouilleur de service ont tracé et fait planter pour leurs congénères.

J’ai pris l’initiative de lui adresser la parole, gouailleur :


- Vous voulez que je vous aide à voler des tomates ?

- Je veux bien, je ne vois pas les rouges des vertes, je suis daltonienne !
- Daltonienne ou pas, si le gardien arrive, vous risquez d’en voir de toutes les couleurs.
- Ah ! Ah ! Ah ! Je lui dirai que vous m’avez forcé la main pour que j’aille vous les cueillir !
- Voleuse et menteuse, et bien si j’avais su, je serais resté sur mon banc à gratter mes précieuses voûtes plantaires sur la pelouse. Bon… Comptez les piquets, trois sur la droite, là elles sont bien rouges… et au bout, près du bassin, des petites cerises…

Elle se met à farfouiller dans le massif, grignote, recrache, prend quelques poignées en réserve, et me lance quelque chose. La tomate explose dans ma main. Elle éclate de rire :


- Elle est pourrie, comme vous. Ah ! Ah ! Ah ! Excusez moi, je plaisante, je suis comme ça, j’aime la fantaisie, et aujourd’hui… Je ne sais pas ce qui m’a pris en sortant du boulot, je n’avais pas envie de rentrer chez moi, j’avais envie de manger des tomates !


Tout en remplissant son panier de vélo grâce à mon indigne complicité, elle a continué la discussion, profitant de mes temps de parole pour croquer les fruits les plus juteux. Une fois le massif dépouillé, avant de partir, elle vint se poser à mes côté pour discuter…


Je ne sais pas comment nous en sommes venus à parler d’amour, mais le sujet arriva sur la table en même temps que ventre ballot d’un petit cumulo-nimbus en maraude, et alors que les blancs s’étiraient au milieu de cette conversation qui n’était plus qu’un prétexte pour se regarder dans les yeux, la pluie tomba.


Vous savez comme elle tombe cette satanée pluie, par petites touches, une goutte par-ci une goutte par-là et ça monte crescendo. Tous les deux nous avons continué à échanger, comme si de rien n'était.


Le parc était vide, la situation atmosphérique instable et nos silences gênants. J’ai compris que je pouvais l’embrasser, ou tout du moins, j’y ai pensé très fort et j’ai souri. J’ai imaginé ce premier pas, ce baiser impromptu sous la pluie et je suis allé chercher mon manteau :


- Excusez-moi, c’est que, malgré les apparences, je suis sensible, très sensible.


Elle m’a suivi et a surenchéri avec le sourire :


- Moi, mes meilleures expériences en amour, c’est avec des inconnus, des histoires uniquement dans le fantasme, des instants volés à la grisaille du quotidien.

- Comme des tomates !

Elle sourit, et là, le coup de grâce, j’ai sorti ma botte secrète, j’ai un don pour conclure, j’ai changé radicalement de discussion. Un sujet très ennuyeux, comme la transition écologique ou la place de l’homme dans une salle d’accouchement, ou même pour les cas les plus extrêmes l’augmentation du diesel. En réalité je ne me souviens pas de ma diversion maladive, juste de l’agacement que j’ai vu passer dans son regard.


Aujourd’hui, je pense à ses hanches solides que j’aurais pu attraper, à l’odeur de ses cheveux dans lequel j’aurais pu plonger, à nos bouches qui se cherchent encore sous la pluie…


... et à toutes ces tomates que personne ne ramasse au jardin botanique et qui se dessèchent dans la terre.



Johann Wenzel Peter





Douze coups

douze coups
de minuit... la cafetière
encore chaude

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un chien aboie,
enfermé dans une cour...
le temps change

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cette mouche
sur l'abat jour illuminé
elle fait sa prière ?

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nuit noire
sous son aile le corbeau
cache des étoiles

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perdu pour perdu
autant suivre la direction
du vent ~ quel automne

Les compagnons blancs "Façon haïbun"

Silène, satyre de son état, père de Dyonisos, a prêté son nom à la famille de cette plantes. Un silène donc, mais qui s'ouvre le soir et qui grâce à ses flaveurs d’acide phénylacétique attire à lui les papillons de nuit.

Il y a des silènes de toutes les couleurs et de toutes les formes : à pompons, à roulettes, des géants, des scabieux, des mauvais, mais là, je te parle du Silène Latifolia.


Lychnis dioïque, si l'on veut être tout à fait précis. Celui là qui accompagne le rôdeur rêveur, de ses pétales blancs, presque phosphorescents sous l’emprise des rayons de la lune.


Entre les collines, les prés et les fermes, quand les chiens attachés insultent ton errance obscure, quand tu marches sans but dans la nuit, ces silènes aux flagrances étranges, de leur présence légère et magique, de leurs indifférences végétales salutaires, caressent ta solitude pleine de larmes de ces nuits où tu te perds.


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une odeur de miel
s’élance vers les étoiles
le corbeau frissonne


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Ah ! T’emmener une fois promener sans but dans la nuit. Noir comparse aux ardeurs fraternelles, je te présenterais à ces compagnons blancs.

Ainsi quand tu seras perdu, loin de moi, avec un peu de chance et si c'est la saison, toi qui aimes le miel, tu verras, ton âme n'en reviendra pas et tu te retrouveras.

~~~

Foudre !

Foudre ! Foutre ! Fougue ! Fouet ! Tel une torpille
Il fond sur nous sans fin. Un espoir insensé,
Comme des viscères qui suivent l'étripé
Traine dans son sillage de volutes et de vrilles.


Ses rayons de soleil touchent aux muscles divins.
Le rire et la candeur se noient dans ses dentelles.
Alors qu'une ombre acre tire sur les ficelles
La bave qu'on crachait se boit comme du vin.


Cet oiseau bleu nous attache et nous lie au lit,
Remuant dans ses serres nos enfances noueuses,
Éteignant de son bec nos cris : trophallaxie !


Bouche à mouche ! Peau à peu ! On creuse !
La solitude nous manque comme un ami.
On s'échoue l'un sur l'autre, tendresse paresseuse.

Nuit d'automne

nuit d'automne...  ah ! ah !
le velours rose des étoiles
m’empoissonne... oh !
le colchique ténébreux
complote sous les feuilles


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Jeudi 11 octobre

Toc ! Toc ! Toc !

Toc ! Toc ! Toc ! Trois coups frappés de l'os qu'il reste
Au bout de mes menottes. Trois coups secs : Toc ! Toc ! Toc !
Tu sais, c'est bien pis que de répandre la peste
Briser ce silence d'un affreux coup d'estoc !


Qui sait ce qui serpente, tapi derrière la porte.
Toc ! Toc ! Toc ! Qui sait ce qui se fomente là.
Dans l'attente mon cœur éprouve son aorte.
Ce bouquet de fleurs du soir, il sera pour toi


Si tu ouvres. Toc ! Toc ! Me voilà au supplice !
J'ai le goût de la lie de la lie du calice
En bouche. Toc ! Toc ! Tiens ! J'entends des pas furtifs !


Est-ce toi ou bien est-ce une de tes malices ?
Je refrappe, seul, oui je sais c'est du vice !
Toc ! Personne ! Toc ! Toc ! Là, c'est définitif !

Les escargots "façon haïbun"

Sur la piste cyclable qui longe la rive droite la pluie étale une pellicule brillante sous la lumière des lampadaires. Des prairies de luzerne et de folle avoine alentour, les escargots jaillissent, véritables bolides de glaire et de calcaire.

Ils jaillissent, grisés par la pluie et l'eau mais depuis mon guidon de vélo, ils ne sont que de petites pierres vivantes, immobiles.


Immobiles parce que tout est relatif et que moi aussi je jaillis pressé de rentrer au chaud et au sec dans ma coquille bien douillette.


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premiers froids
je regarde les bûches
avec gourmandise


~~~


J'évite les gastéropodes, mais comme il y en a de plus en plus, je me retrouve à zigzaguer comme un zigoto. Un instant, juste un instant, je renonce, aigris, agacé par la pluie glacé, criminel endiablé, oui ! je craque.


Au premier bruit de coquille sous mes pneus, je me remets à zigzaguer comme un zigoto, plein de honte et de douleur comme si c’était mon cœur en personne que j'avais écrasé.


~~~


dans la cheminée
un morceau de châtaignier
feu d’artifice


~~~


Le lendemain à la même heure, sur le même trajet, le goudron est sec et la lumière des lampadaires révèlent les traces de salive de mes amis de l'autre soir.


Les dessins argentés, moirés et tarabiscotés finissent parfois par un petit tas noirâtre, sans croix ni fleur.


~~~


le perce-oreille
prend la poudre d’escampette
l’écorce flambe


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J'ai toujours pensé que les escargots étaient des extraterrestres, arrivés de l'espace il y a des millions d'années dans un vaisseau coquille collectif, ou bien dans des œufs agglomérés en une immense grappe de bulles multicolores, et qu'ils colonisaient doucement notre planète.


Depuis tout petit, je regarde avec inquiétude les dessins étranges que leurs mucus en séchant laisse sur les murs, hiéroglyphiques reflets de leur intelligence et de leurs tentatives désespérées de communiquer.


~~~


matin brumeux
sous les cendres tièdes
un œil de braise


~~~


C'est tellement difficile de se faire comprendre. On fait comme on peut, on prend ce qu'on a, des traces brillantes, ce n’est pas le pire des outils.

Moi aussi je laisse des traces brillantes. J'essaye désespérément de me faire comprendre juste avant de me faire rouler dessus par l'inique et froide indifférence des usagés de la piste cyclable.
Je donne des coups de langue, des coups de pinceaux, de mots, de son, de matière, de folie, de poésie.

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feu de tout bois
dans la fêlure une flammèche
multicolore



La troisième ombre

Il y a en moi... une ombre. Je la promène au crépuscule, avec mon ombre, l’autre, celle qui s’allonge derrière quand je regarde le ciel s’ensanglanter. Tous les trois, une fois que le soleil a fini son cinéma, on s’engouffre dans les sentiers sombres, et on se rassemble.

~~~


blague d’araignée
une feuille s'est pendue
au milieu du chemin


~~~


Les idées noires galopent, avec leurs petites pattes molles, partout. Je cherche une issue comme on cherche de l’air en remontant des Abysses. Il est loin le coup de talon qui nous a propulsés vers cette pâle lumière entre les algues.

Je grogne et je râle en fouillant les combes hirsutes de ronces. Cahin-caha, j’arpente en boitant, la bave aux lèvres.


~~~


la nuit dans la forêt
le grand méchant loup
c’est moi


~~~


J’aperçois un banc à la croisée des chemins, la fameuse, celle où le diable donne des leçons de guitare. Je m’y assois avec cette ombre qui me reste à l'intérieur. Vivante elle grouille dans mes fleurs. Je respire calmement pour l’arracher à la prairie de mon plexus.


...


Le fragon épineux bruisse légèrement, et dans les plis tourmentés d’un tronc, je repère le sourire d’une fée. Ses pas dans les feuilles mortes feulent et chantent, glissade sensuelle, et ses yeux au parfum de mûre, s’accrochent dans mes iris incrédules. Mais…


~~~


le spectre ricane
les visages dans la hêtraie
disparaissent


~~~


La pollution lumineuse donne au ciel une teinte grise, très sombre. Je reste là, en deuil des instants merveilleux de ma vie, flottant dans cette pénombre louche, et j’écoute le silence grignoter le temps.


~~~


coup de blues
la nuit tombe
au fond du bois


~~~


Enfin, je me lève. Je suis presque seul maintenant. La peur du noir, sublimée par ma nature mélancolique, travaille le monstre. Une symphonie commence : Je renifle la terre, j’éprouve les branches pourries, je goûte la pulpe crue d’une châtaigne, je me pique et je me griffe, je chantonne et je m’ouvre, pupilles dilatées.


~~~


cri de la chouette
les ténèbres chassent
les ténèbres


~~~








Amours mortes

sirupeuses
les boucles de son or
lacèrent ma mémoire


c’est la lune dans ma baignoire qui danse avec une queue de sirène
c’est le blues, la valse et les marches sombres des premiers siècles qui s’écoulent de ses mamelles tendres et splendides


entre deux promenades sur ses remparts
la vue, l’espace, l’immensité de son sourire,
une odeur de printemps au cœur de l’automne,
tout cela sur la tranche de ses ongles

à jamais


les biches, les fleurs, les rires de nymphes,
les carillons fêlés qui tintinnabulent aux coins des murs envahis de roses et de fourmis,dans les monastères vides des montagnes hantées de soleil nostalgique,
le flot des torrents, l’ombre des lierre, la soupe, le tourbillon de feuilles jaunies dans les petits matin fraîchus
 

tout cela me ramène
à sa folle raison
à son fluide
à sa vase
chaude


par delà les collines qui roulent
le givre dessine des crocs
à mes sourires
de longues dents qui me rongent


de mon cœur
elle n’a fait qu’une bouchée
une bulle de sang
un "slurp"
un rot


je me sens
depuis
ruche
sans abeilles
à l’orée du bois
dans ces herbes hautes
pourries de mousses et noircies

il ne manquerait plus qu’on me prenne
pour une boite aux lettres
sans nom


d’elle
j’ai ce voyage
un fracas d'ailes rongées
plumées
de routes fouettant l’horizon
le souvenir de ses longs doigts de fées
dans mes cordes

le son
des vagues
de salives

une impression
vague
de vin d’eau
pure
de lumière
dans les os


hélas
l’univers est une vaste
fumisterie
poussière désenchantée
en proie
à une chute
sans fin
depuis


une telle solitude
accouchera
d’un joyau d’horreur
ou d’amour
peu importe la couleur
ce soir je ne sais plus


dans cette forêt de cyprès
pleine de grise nuit
je m’emmêle les pinceaux
j'en pleure des moineaux
en écoutant les préludes
de Debussy*


sur la tombe des vivantes
personne ne pose
de couronnes


~~~


*Poème écrit à la louche en écoutant les préludes de Debussy. Arabesques, clair de lune, estampes et nocturnes...

Toute ressemblance avec des personnes existantes serait purement honorifique, nonobstant et sans préambule par delà le corollaire déclaratif de l'aurore... 


Zéro faute

Un petite série de #senryū doux et de saison. attention à ne pas éclater de rire trop près de votre écran si vous n'avez pas de lingettes auto nettoyantes !

zéro faute
le cancre rend une page
blanche


~~~


entre cucurbitacées
et cumulo-nimbus je suppute
la concupiscence


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elle miaule,
enrobage peau de panthère
je petite souris


~~~

liste de courses
une douzaine de haïkus
dans mon panier


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le fin du fin
une plage de sable
en poudre


~~~


petit matin
elle épluche ses kiwis
il se gratte les...


~~~


dans l’église
monsieur le curé
fait le malin


~~~


les spectateurs
mon spectacle
préféré


~~~


duo de mouches
celle du dessus
pinaille

Ruine "façon-haïbun"

Lorsque je tombe sur les restes d'une maison en train de s'effriter comme un chicot, je sens les vies passées par là et leurs fantômes glissent leurs palmes mélancoliques dans les nerfs fragiles de mon cœur affolé.

Je touche les pierres et mon enfance est là. J'habite la demeure un moment. L'odeur de la mousse se mêle à l'odeur de l'humus. Des années de feuilles retenues par les restes de murs, ses murs qui retenaient la chaleur d'un foyer.


Je calcule l'énergie qu'il faudrait pour tout reconstruire. Les ongles retournés, la sciure, la terre à nue, la boue des jours de pluie, le sang, la sueur, les rires nécessaires pour remettre un toit, là, sur cette ruine.


~~~


Fête de famille
tellement d'enfants qu'on dirait
le paradis


~~~


Et puis je reprends ma route, laissant tous ces rêves passés et futurs aux outrages du temps, aux longs grignotages des cloportes, à la succion des vers, aux piqûres des becs fouineurs, au vent, à la pluie, aux racines, aux coups des passants hystériques.

Dans les branches tortueuses de ma mémoire, la ruine devient un nid de plus pour les petits corbeaux qui voltigent en permanence dans ma boite crânienne, essayant sans y croire de gober l'araignée qui se balance au plafond.

~~~


Tas de pierre
le crapaud reste
dans sa bulle



Premiers froids

premiers froids
je sors de l'ombre


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ah! jour blanchâtre
je me languis de la nuit
dans ton ventre vide


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la mort au jardin
entre ses doigts les framboises
éclatent trop tôt


~~~

derniers jours d'été
bientôt le décès des feuilles mais...
d’abord... l'agonie !


~~~

aurore routière
les arbres encore pleins de nuit
mangent les étoiles


~~~

ciel gris bleu
quelques gouttes transpercent
ma solitude


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faim de loup
dans le pommier
la lune


Fin fond des bois

fin fond des bois
sous les feuilles une odeur
de terre et de vie
je m'allonge dans un rêve
de champignon écureuil

~~~

Jeudi 27 septembre

Notice

Précautions d'emploi :

- Servir très frais avec des fruits et de la lumière.
- Respecter les doses, une utilisation trop intense est dangereuse pour votre santé mentale et physique. - Pour l’ouvrir sans danger utiliser le pinceau fourni avec.
- Éviter les coups de dents, d’ongles et de gueule.
- Extrêmement sensible à toute tentative de castration et autres usages douteux.
- Pour le garder intact respecter le silence et l’obscurité.
- En cas de lassitude, le jeter dans la nature, près d’un bois de châtaigniers, en automne.  (Ne pas prévenir la police, surtout pas.)

- Entièrement biodégradable.
- Pour activer l’option «guitare» faire une prière.
- Ne pas l’arrêter au bout de trois chansons sous peine de redémarrage intempestif.
- Se mange, se fume, s’infuse, s’injecte, se vapote. Tout est possible avec les accessoires appropriés.
- Pour l’option « Papa » veuillez commander en catalogue le module « psychanalyse » sous peine de dysfonctionnement grave.
- Si par hasard votre modèle devient cynique et irritable plus de trois heures par jours l’amener à la montagne et/ou revoir votre discothèque.

Entretien quotidien :

- Remplir toute les heures de café grand cru.
- En cas de panne de café, utiliser des médicaments à la caféine.
- Faire une à deux promenades par jour… 

Balade en forêt

Petit matin, je gare mon auto, et je me retrouve happé par les jeux d'ombre et de lumière bruissant d'une petite forêt qui recouvre le vallon de la sangle quelque part entre Ruffec et Civray... Et je suis parti, loin, loin loin...

~~~

Balade en forêt ~
j’écoute le vent dans les branches
à pas feutrés

~~~

Balade en forêt ~
un arbre en travers du chemin
hop !

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Balade en forêt ~
humide et noire la souche
témoigne

~~~

Balade en forêt ~
excusez mon retard
je me suis perdu

~~~

Balade en forêt ~
passant prés d’une bauge
la peau me démange

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Balade en forêt ~
comme j’aime le coté voyou
des châtaigniers

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Balade en forêt ~
au fond du vallon
l’antre du lierre

~~~

Balade en forêt ~
derrière moi dans la grande allée
la blanche biche

~~~

Balade en forêt ~
au carrefour quelques rousses
fougères frissonnent

~~~

Balade en forêt ~
pieds nus dans les feuilles
soudain, je bogue

~~~

Balade en forêt ~
les troncs se frottent
au chant des oiseaux

~~~

Balade en forêt ~
Au loin, mon dieu ! Un cadavre !
ou bien non, des poubelles…

~~~

Balade en forêt ~
Je monte dans ma voiture
et je m’arrache

~~~

Lundi 24 septembre

En route vers la mort

en route vers la mort
ah ! ces avoines sauvages
de plus en plus belles


~~~

L'autre soir, en maraude sur mon vélo, je roule alors que l'obscurité envahi les tunnels de verdure de la piste cyclable qui relie Bordeaux à Sauveterre-De-Guyenne. Je n'ai pas de lumières et je vais vite, très vite, lancé de toutes mes forces sur cette pente douce gravie un peu plus tôt.
Je n’y vois rien.
Je ne vois personne et personne ne me voit.
Je déboule comme un diable perpétuellement accouché par les ténèbres et c'est très bien…


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funambule
sur la ligne blanche
en roue libre


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Herbes coupées, terre humide, mélifluants compagnons blancs, sirupeux épilobes, folles berces à tête de fantômes, viandes grillées sur les braises d'un barbecue fumant derrière une haie de thuya parfumé, effluves de vases noires, de poissons, de charognes mystérieuses : toute une gamme de sensations me transporte de l'enfance à la mort dans un cortège d'étincelles mélancoliques.

~~~

odeur de souffre
du bout des doigts je fouette
les feuilles du sureau


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Sous la lumière orange et stroboscopique d'un lampadaire défectueux je pose pied-à-terre. Je sens les gravillons rouler sous ma semelle, j’écoute les grillons qui n'ont rien changés à leur chanson depuis la nuit des temps, et alors, en grattant une croûte sur mon genou et en éprouvant le cadre d'acier de ma fidèle bicyclette, je comprends que l'enfant en moi est encore là et que le vieillard, ébloui, est déjà là.

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le vol essoufflé
de quelques papillons bruns
bientôt les feuilles mortes


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Je comprends que le passé et le futur ne sont qu'un imaginaire écrin pour recevoir le présent et je repars dans le noir.
Je n’y vois rien…
Je ne vois personne et personne ne me voit.
Je déboule comme un diable perpétuellement accouché par les ténèbres et c'est très bien…


J’arrive !

L'arbre agité

l’arbre est agité
et bruisse dans la grisaille
il y a du vent
tous ces rêves qu’on retient
un jour d’automne s’envolent




Vendredi 21 septembre

Matin

j’aperçois l’aurore
nuances d’or et de rose
là bas sur les toits
l’esprit veut sortir du corps
du lit, de la maison… bah !


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vapeur en cuisine
le chant de l’eau qui bouillonne
emporte les rêves
le café n’est pas si noir
en Colombie il est vert


~~~

odeur de savon
ce matin j’ai rendez vous
avec le miroir
las ! Pour décrasser mon cœur
il faudrait plus de lumière


~~~
 

Mercredi 19 septembre

Silence


silence
personne dans la neige
cette nuit

silence
dans le puits elle lâche
une plume

silence
des heures de palabres
pour un baiser

silence
juste après ce cri
plus rien

silence
exploration
de chat

silence
la lumière
fuit

silence
un pois
noir

silence
chut
d'air

Lundi 17 septembre