Ecrire

matin gris
je caresse l'espoir il s'enfuit


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Le vieil encrier se renverse sur la page blanche, par chance, il est vide, ou bien l’encre est sèche. J’enfonce mon doigt à l’intérieur, long frémissement de l’encrier, et à l’intérieur : pfff ! de la poudre noire...


J’ai dans une boite des plumes. Une grande boite. Plus jeune, j’allais chercher de quoi écrire un peu partout, et je m’enorgueillis d’une belle collection. De l’oie, de la buse, du vautour, du corbeau, de l’ange, du paon, de la dinde, j’ai même de l’autruche.


Mais, ça me pèse sur le poignet l'autruche pour écrire, alors je l’utilise uniquement pour les poèmes en une seule syllabe. «Crac» est le plus connu, et bien qu’un peu complexe pour un monosyllabique, ce poème j’en suis fier, les enfants l’adorent. Même les cancres l’apprennent en une seconde.


Malheureusement, et comme par hasard, il n’est jamais au programme. Pourquoi donc ? Je vous le donne en mille, c’est plus facile de faire croire aux enfants que la poésie est un truc ennuyeux et long, plutôt que de les faire trimer sur le pourquoi du comment !


Bon ! En ouvrant la boite à plume, je découvre l’ouvrage de ce salopard de temps. Les calamus sont encore bons, tout taillés qu’ils sont, en pointe - certes émoussées - mais taillés par la lame de ce coupe-chou dérobé en 1973 sur le tournage de « mon nom est personne » ; mais pour ce qui est des barbes, c’est la crise. Tout tombe en poussière : autant prendre des crayons !


La table est là, elle, bien là, vermoulue comme j’aime, un peu branlante à cause d’une de ses pattes trop courte. Je la regarde tourner en rond dans la cour pavée de granits obsolètes. Brave petite table qui galope sur trois pattes ! J’ai ai des larmes qui perlent des perles car je suis verni.


Par contre, je ne vois pas cette satanée chaise, elle doit encore être partie à Cuba se faire fumer les barreaux. Je renonce définitivement avec elle. Si je la croise, je la fracasse illico dans la porte de la chambre qui aime bien un peu d’action de temps en temps.


Enfin, il y a aussi des tas d'autre raisons pour ne pas écrire ce soir. Que voulez-vous ? Encore une histoire d’amour folle et romantique dont l’issue est déjà connue au départ, et dont (même si la "framboisie" des cœurs sauvages s’entredévorant au couchant regorge de geysers spasmodiques et jouissifs) le sujet sera épuisé avant même d’avoir trouvé une pieuvre fraîche et lui avoir soutiré quelques centilitres de son jus le plus noir.


Voyez, c’est pas simple d’écrire, et encore, je suis sympa, je ne vous parle pas de l’inspiration qui, maitresse hystérique, et c’est de notoriété internationale, vous attrape à n’importe quelle heure pour vous faire cracher au bassinet ou vous laisser en plan au bord de la route, au milieu des poils pubiens, voire dans les beaux draps d’une femelle hôpital aussi impitoyable qu’une mâchoire de dobermans sous amphétamines.

Alors c’est décidé, ce soir, je prends mon gilet jaune et je bloque toutes les issues de mon cerveau. Je n’écrirai pas une ligne dans de telles conditions de travail !


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route de nuit
j'écrase un petit chagrin














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