L'autre soir

L'autre soir en maraude sur mon vélo, je suis rentré un peu tard. L'obscurité avait envahi les tunnels de verdure de la piste cyclable qui relie Bordeaux à Sauveterre de Guyenne.

 Je n'avais pas de lumière, et j'allais vite, lancé de toute la force de mes mollets jambonesques sur la pente douce que j'avais montée à l'aller (j'étais donc chaud). Je n'y voyais rien. Je n'ai vu personne et personne ne m'a vu. Je déboulais comme un diable perpétuellement accouché par les ténèbres et c'était bien. 

Les odeurs : lambeaux de tissus baladés dans la tiédeur de la nuit, me transperçaient.
 

Herbes coupées, terre humide, miels douteux (— Ô mélifluant compagnon blanc, sirupeux épilobes, folles berces à tête de fantômes surgissant —), viandes grillée sur les braises d'un barbecue fumant derrière une haie furibonde, effluves de vases noires, de poissons, de charognes mystérieuses, toute une gamme d'odeurs me transportant de l'enfance à la mort dans un cortège d'étincelles mélancoliques.
 

Sous la lumière orange et stroboscopique d'un lampadaire défectueux j'ai posé pied-à-terre quelque seconde pour sentir les gravillons rouler sous ma semelle, pour écouter les grillons qui n'ont rien changés à leur chanson depuis le temps. Alors en grattant une vieille croûte sur mon genou et en éprouvant le cadre d'acier de ma fidèle bicyclette, j'ai compris que l'enfant en moi était encore là et que le vieillard était déjà là. J'ai compris que le passé et le futur n'étais qu'un imaginaire écrin pour recevoir le présent et je suis reparti dans le noir.
 

Je n'y voyais rien. Je n'ai vu personne et personne ne m'a vu. Je déboulais comme un diable perpétuellement accouché par les ténèbres et c'était bien.