Meilleurs vœux 2015

Je sais bien que l'on est au cœur de l'hiver. Les cadavres qui encombrent les trottoirs en témoignent tout comme les hirondelles parfois annoncent le retour de l'axe de la terre dans une situation plus propice à la floraison.

Je sais bien que l'on est au cœur de l'hiver. Le sommeil ne vient pas. Le convecteur assèche ma bouche et mon porte-monnaie. Dehors un silence carcéral me souffle les échos du vide interstellaire qui s'étend à l'infini quelques kilomètres au-dessus de ma tête.

Aucun espoir de la part de dieu, des extraterrestres, des scientifiques, de l'Europe, de l'Amérique, de Marine Lepen, ou même d'une immense prise de conscience générale. La seule chose collective que l'humanité réussira c'est son suicide et encore... j'ai peur que cela ne soit pas très net (J'entends par là qu'on va user pas mal de lames de rasoir pour trancher la bonne veine).

Autour de moi, les gens meurent, dépriment, cancérisent, névrotisent, angoissent, s'internent, se châtrent, se prostitue fièrement comme de la viande. On tue, on pille. On souille les âmes, les océans, les artistes. Les enfants sont élevés pour rentrer dans des cases. La révolte se traite avec du hachisch, de l'alcool, de la pornographie, de l'incarcération, de la dérision, du je-m'en-foutisme. Le seul héroïsme qui subsiste c'est l'indignation, la médisance, la manifestation. En un mot, la branlette.

Oui, je sais bien que l'on est au cœur de l'hiver et que notre seul horizon réel et réaliste c'est la mort avec comme sel et de poivre, de la souffrance et du désespoir. Mais moi, avec mes grincements de partout, mes démangeaisons, mes dissensions, mes écartements, mes lumbagos bingos, mes millions d'atomes en voient de désintégration cosmique, moi alors que j'ai froid, que je suis seul dans la vie, dans le monde, dans l'univers, seul et sans amour, sans pognon, sans réussite flagrante, moi donc ! Je ne pense qu'à une seule chose ce soir c'est à planter des fleurs dans mes jardinières.

Des doliques pourpres pour entortiller le ciel bleu de ma chambre. Des volubilis comme autant de trompettes de l'Apocalypse au petit matin ocre. Des capucines pour nourrir les pucerons, qui nourriront les fourmis, que le voisin empoisonnera en enrichissant le magasin de poison « bio » et l'industrie pétrochimique équitable. Des campanules, des violettes, des pâquerettes, du cerfeuil, des soucis , enfin, toute une ribambelle de fleurs dans la nuit comme autant d'étoiles multicolores.

Et si je vous croise, promis, je vais vous serrer très fort dans mes bras, après tout, on est tous dans la même galère.

Lorsque le printemps pointera le bout de ses hirondelles, passez donc voir mes petites fleurs. Je vous ferais des crêpes et du café filtre et je vous chanterai une de ces chansons macabres de ma composition.

Le bonheur c'est d'être vivant et d'en rire ensemble...

Je sais qu'on est au cœur de l'hiver et bien je vous souhaite à tous et bien avant l'heure - parce que ça porte malheur-, une très bonne année 2015 !

Cochonne de vie

Tu cherches partout, comme un chien cherche sa balle, comme un soldat cherche l'origine du sang qui lui colle les yeux. Tu cherches ta mère, ta peau éparpillée dans les étoiles, tu cherches sans savoir ce que tu cherches.

Tu cherches une solution que la panique implore. Tu cherches, tu fouilles, tu creuses, tu retournes, tu casses, tu refouilles, tu reviens sur tes pas, tu sors les appareils électroniques, tu fracasses les tiroirs, les doubles fonds, les dessous d'éviers hantés de fanges javellisées, tu grattes la terre, tu pioches les cieux et rien.
 

Tu ne trouveras rien d'autre que ce triste reflet de toi qui s'use lentement.
 

Ne cherche pas, prend ce qui passe, toile d'araignée posée sur le présent, vibre de tous les impacts sensuels de la vie. Le moindre trognon de pomme dégouline de merveilles éternelles, le moindre carrelage collant réjouit ta danse claudicante... 

Comme la mort, n'attend rien ni personne, attrape ce qui passe avec tes ongles, avec tes dents, avec tes seins, avec ta queue, ou avec tes yeux, enfin, avec tous ce qui traîne. C'est de la pêche au filet délirant. Déchire la vie au fur et à mesure... 

Le bonheur c'est un mode, l'angoisse une ballade au pays des ombres, l'amour le paradis de polystyrène, tout est bon dans cette cochonne de vie !

Juste après l'Aurore

Après vous Mademoiselle, l'Apocalypse c'est des vacances !

C'est normal de sourire, c'est humain, c'est même comme on dit une décontraction de l'âme, mais là mademoiselle c'était trop. Je suis sorti de votre sourire irradié.

Quelque pas plus loin, dans mon cœur une escalade, je me sentis incendiaire, j'imaginais brûler la terre entière par petits morceaux : les voitures, les maisons, les forêts, les champs de blé envahis de coquelicots, l'univers entier ruiné par la flamme que ce sourire imprévu avait planté dans ma poitrine.

Ce sourire infusé de gloussement et de bienveillances perverses vous l'avez tenu sans faillir, sans pudeurs, sans troubles, sans comprendre la tempête d'avenir illusoire dont il était l'engrais parfait.

Quelques pas plus tard, l'air brûlant et la chaleur moite de ce septembre caniculaire précipitèrent une explosion de foudre, de vent, et de pluies fouailleuses.

Votre chair je l'ai vu, vos yeux, vos dents, votre salive cachées dans ce sourire, votre bonheur, votre chance, votre jour, votre enfant, votre amour, votre intelligence, j'ai tout vu, tout était là, offert dans les vapeurs d'un produit d'entretien pour tapis roulant de caisse enregistreuse.

J'ai tout pris, et sous la pluie qui n'a rien refroidi, sous la fureur des éclairs qui excitait mon rire, j'étais comblé, heureux et tourbillonnant. Tout était clair, harmonieux, simple et bon !

Ton sourire (oui, on peut bien se tutoyer maintenant) est encore accroché sur mes lèvres, voilà, je le dépose sur le papier avant que la faucheuse qui passe souvent par chez moi l'emporte pour un enterrement lointain.

Après toi, l'Apocalypse, c'est des vacances...





L'autre soir

L'autre soir en maraude sur mon vélo, je suis rentré un peu tard. L'obscurité avait envahi les tunnels de verdure de la piste cyclable qui relie Bordeaux à Sauveterre de Guyenne.

 Je n'avais pas de lumière, et j'allais vite, lancé de toute la force de mes mollets jambonesques sur la pente douce que j'avais montée à l'aller (j'étais donc chaud). Je n'y voyais rien. Je n'ai vu personne et personne ne m'a vu. Je déboulais comme un diable perpétuellement accouché par les ténèbres et c'était bien. 

Les odeurs : lambeaux de tissus baladés dans la tiédeur de la nuit, me transperçaient.
 

Herbes coupées, terre humide, miels douteux (— Ô mélifluant compagnon blanc, sirupeux épilobes, folles berces à tête de fantômes surgissant —), viandes grillée sur les braises d'un barbecue fumant derrière une haie furibonde, effluves de vases noires, de poissons, de charognes mystérieuses, toute une gamme d'odeurs me transportant de l'enfance à la mort dans un cortège d'étincelles mélancoliques.
 

Sous la lumière orange et stroboscopique d'un lampadaire défectueux j'ai posé pied-à-terre quelque seconde pour sentir les gravillons rouler sous ma semelle, pour écouter les grillons qui n'ont rien changés à leur chanson depuis le temps. Alors en grattant une vieille croûte sur mon genou et en éprouvant le cadre d'acier de ma fidèle bicyclette, j'ai compris que l'enfant en moi était encore là et que le vieillard était déjà là. J'ai compris que le passé et le futur n'étais qu'un imaginaire écrin pour recevoir le présent et je suis reparti dans le noir.
 

Je n'y voyais rien. Je n'ai vu personne et personne ne m'a vu. Je déboulais comme un diable perpétuellement accouché par les ténèbres et c'était bien.