Goutte à goutte

J’écoute la pluie chanter sur les tuiles. C'est un samedi à la lueur des cumulus grisés. Des oiseaux abrités chantent un peu et parfois s'arrêtent, sûrement effrayés par une goutte plus grosse que les autres qui après s'être bien imbibée de crasse tombe sur leur crâne duveteux. Des cris et des rires d'enfants arrivent du stade, là-bas derrière les ravins de tuile. Ça sent le béton moussu, le fer rouillé, le sang dans la bave, le bois mort glissant.

Tiens ! Une sirène s'allume et ne s’éteint pas. Bienvenue en direct dans mon cerveau.
Des cloches au loin, très loin dans la brume. Le "slurp" des pneus d'une automobile roulant dans les flaques : explosion qui pétille, qui mousse et qui se couche en brève ondulation. Je ne suis pas triste, je ne suis pas angoissé, je suis juste loin, très loin.

Ça fait bien longtemps que je n'ai pas marché sous la pluie buvant et respirant d'une même bonne foulée fugueuse. Ouais ! C'est un temps à faire une fugue. Un temps à écouter Tabula Rasa d'Arvo Part. Un temps à ramasser ces grandes limaces oranges et à les manger en regardant les gouttes de pluie frémir en équilibre sur les feuilles de chélidoine.

J'imagine dans les caniveaux les ruisseaux de pluie qui fredonnent avant de mourir dans les bouches d'égout. Les fossés gorgés d'eau. L'herbe coupante et trempée qui fouette dans mon sillage. La ronce tendue, accrochée à ma peau, ma peau qui cède par à-coup. Tout un monde de goutte à goutte sanglant et parfumé à la portée de mon désir de promenade.

Partir sans munition, tête vide, bouche ouverte. Suivre les souillures du bord de la route. Marcher sans trêve, jusqu'au sang. Se fusiller de fuite, de claudication et laisser derrière pour toujours cette coquille vide.

Son chez soi.