Nuit du modéle vivant

Je me suis invité pour faire le haïjïn de service dans une nuit de dessin ininterrompu, la nuit du modèle vivant pour être plus précis. On m’a réservé une petite table, dans un petit coin, avec une petite lampe. J’ai assis mon petit corps en silence. J’ai sorti mon petit cahier et je me suis mis «mono no aware».

Saisir l’instant présent, sculpter de petits émerveillements, poser des graines de souvenir sur le papier. Je sais que traditionnellement on cherche l’inspiration en observant la nature et la valse des saisons, mais ce soir là, la nature, c'était eux les croqueurs et les modèles : la mine sévère, l’œil alerte, ou le corps dévoilé.

Pour neige j’avais le papier, pour vent le bruit des feuilles que l’on tourne, pour fleur les peaux explosées dans la lumière.

Les poses s’enchaînent. Silencieux parmi les taiseux, j’attends sur la rive pour pêcher l’étrange, le merveilleux, le cocasse, les failles, les interstices, et ça mord…

Les modèles se dénudent ~
les cutters taillent les mines de crayon

~~~

Cherchant l’inspiration
je regarde le modèle
qui respire

~~~

Page blanche ~
un moustique
pose

~~~

Forêt de chevalets
dans la clairière
deux chairs

~~~

Désert de papier ~
régulièrement le pinceau s’abreuve
à la source noire

~~~

Crayons nerveux
les fleurs rouges sautillent
sur sa robe

~~~

Grand format ~
un feutre hurle
sur la page blanche

~~~

Odeur du pastel ~
les mots s’étalent
dans ma mémoire

~~~

Le modèle
se défile
en ligne

~~~

Pointe du crayon ~
un croqueur s’escrime
avec son ombre

~~~

Un coup de plume ~
l’ombre d’un sein

~~~

Nouvelle pose ~
je me perds en longeant
les côtes

~~~

Au clair de la lune ~
apparition d’une colonne
vertébrale

~~~

Pose chronométrée ~
au cou du modèle un collier
se balance

~~~

Pose longue ~
les mains du modèle
me touchent

~~~

D’un coup de pinceau
tchac ! Il chasse un moustique
sans faire de taches

~~~

Étrange creux de la cambrure ~
la minuterie me réveille

~~~

Tous ces yeux
qui picorent
des grains
de beauté

~~~

Le dos du modèle
oh ! la crête d’un dragon
cachée sous la peau

~~~

Le poids de la chair ~
la légèreté d’une plume

~~~

Déchirure ~
la spirale du grand carnet
se défoule

~~~

Le modèle se cambre ~
derrière les chevalets
on se cabre

~~~

Courbes et hachures ~
le crayon chante ses gammes

~~~

Panne sèche ~
perdu sur les sentiers
de ses veines

~~~

Traits blancs
traits noirs
un corps sort
de la grisaille

~~~

Tintement du pinceau ~
elle fait sécher ses courbes
au soleil

~~~

Effrayé par le bruit
il déchire sa feuille
en deux temps

~~~

Pose courte ~
les statue du parc jouent
avec mes nerfs

~~~

Pose courte ~
un feu d’artifice
sur la feuille

~~~

Pose courte ~
à peine le temps de croquer
un parfum

~~~

Pose courte ~
corps matière
explosion

~~~

Pose courte ~
sur la feuille les corps
s’agglutinent

~~~

Pose courte ~
les modèles cherchent
l’inspiration

~~~

Bruit de crayon ~
le modèle affiche
une mine de plomb

~~~

Bruit de crayon ~
chacun écoute voler
sa mouche

~~~

Du rouge, du bleu, du vert
elle boit de toutes les couleurs
l’aquarelliste

~~~

Le temps passe ~
les dessins s’accumulent
sur le sol

~~~

Les croqueurs
noircissent
le papier
à petites gorgées
de regard

~~~

Le modèle trébuche ~
cinq mines brisées
une gomme avalée

J’ai terminé épuisé. J’ai passé cinq heures à chercher des mots, des images, du sens et du non sens, des contrastes, des soupçons, à trier, à recopier, à sélectionner, à renoncer, à apprendre, à fulminer. Je ne sais pas si l’on peut dire que j’ai écrit des haïkus, mais je me suis bien amusé et je tiens à remercier : Maud Modjo, Noemie Bray, Maxime Lemoyne, Vincent Leclerc, et Le Crayon Nomade pour m'avoir invité à croquer les croqueurs.

Mille feuilles

Je suis sous un mille-feuille, un vrai : un arbre ; un hêtre au vaste port tapissant.

Il est si touffu qu'il fait toujours nuit sous ses branches. Et lorsque parfois la lumière du soleil arrive jusqu'au sol : — « Ô l'ardent ruissellement d'émeraude ! » —, en levant la tête, il faut chercher le trou, comme on cherche une étoile dans une nuit de nuages.


Cet arbre, c'est une source de fraîcheur. Rien qu'à songer à ses racines qui puisent dans l'obscurité l'eau cachée pour qu'elle remonte jusqu'aux feuilles, je suis émerveillé.


Après avoir bu quelques gorgées sous son ombre épaisse, j'ai bien du mal à le laisser et à retourner dans la fournaise.



~~~
Grosse chaleur ~
dans les champs de blé
on fume des cigares
~~~










Canicule

Sirius, l'étoile du chien est dans le sillage du soleil. Comme les fesses rougissent sous l'action d'une main généreuse, la terre qui présente son hémisphère nord à un bombardement d'ondes électromagnétiques multicolores se dessèche et durcit.

Je suis dessus...

Un anticyclone tourbillonne et repousse toute tentative de dépression. C'est en vain que j'attends des tombereaux de pluie glacée, des montagnes de strato-cumulus.

De-ci de-là quelques nuages semblent pourtant s'agglutiner. Une tension électrique s’étire entre la terre et le ciel. Des éclairs imaginaires aguichent mon œil sans larmes. Ah ! Une brève et tiède averse noircit les tuiles poussiéreuses ! Non ! C'est l'arroseur du voisin.

Toutes ces prémices d'explosions et autres rafales ne sont qu'un éternuement perpétuellement remis en jeu. Des mirages, des hallucinations provoqués par la fièvre.

~~~
Canicule ~
je crache des noyaux d'olives
sur le chien
~~~


Dessin F.Coune 2008