Prose de Septembre III

#prosedeseptembre

Tous les jours ouvrables de septembre, une dose de prose prosaïque, c'est mon défi de septembre ! Si c'est trop ennuyeux, ben c'est la vie !


Lundi 16 Septembre,

Il reste bien des tournesols, mais ils n'ont plus l'aplomb joyeux de juillet. La tête gonflée, alourdie par la semence, le feuillage jaune et décrépit, ils regardent la terre desséchée, soumis au bombardement radieux de leur idole.

La plupart des cultures ont été ramassées, et la terre à nue, durcie par la sécheresse, dépitée, envoie de petits nuages de poussière ocre comme pour dire aux vents, ramenez des nuages, j'ai soif.

Pour ma part, je musarde de chemins en chemins. Je grappille des mûres, des pêches de vigne, quelques poires abandonnées, et je déguste.

Ici assis sur une botte de paille, et là, à l'ombre de la haie, en regardant des silex qu'on dirait bien taillés.

Un chevreuil débusqué file vers un bosquet. Au loin, dans une ferme, un chien s'adonne à sa passion, il hurle, peut-être qu'un renard ou qu'un loup est passé lui tirer la langue.

À l'horizon, immenses et futuristes, les éoliennes tournent au ralenti.

Et puis soudain, je disparais. J'ai repéré un bois. Je me glisse dans une coulée, entre un coudrier et une épine noire qui m'arrache un morceau de peau. Sur mon bras, le sang perle de la blessure. Sans réfléchir, je l'étale sur l’écorce grise d'un jeune charme qui m’accueille sous les frondaisons.

Quand je vous parle de bois, ne vous imaginez pas des allées somptueuses, sous les arcades des grands arbres où l'on flâne en regardant les fleurs tapies dans les fossés.

Non, je suis dans un chaos de lignine, de lierre, et de lichen. Déambulant sur une sente de bête, je me dandine entre les ronces, les toiles d'araignée, les branches basses, les arbres morts en équilibre sur les vivants, les fossés, et les buissons épineux.

Pour avancer dans cet enchevêtrement végétal, il faut danser : lever les pieds, faire des pas étranges, un coup à gauche, un coup à droite, s'agripper et parfois faire demi-tour.

Par ici, le vent ne rentre pas, il secoue juste la canopée et de temps en temps, on entend les choses tomber, des feuilles, des brindilles, des glands, des châtaignes, voire des écureuils maladroits qui se rattrapent en vitesse.

J'ai trouvé une place, un gros tronc moussu est allongé, je me glisse à ses côtés et j'attends. Il y a dans l'air une odeur fauve, un peu sucrée.

Lorsqu'on froisse une feuille de papier et qu'on la balance sur le bureau, si on écoute bien, au bout d'un moment, elle se déplie en pétillant.

Si l'on observe le silence au fond d'un bois, petit à petit, les bruits se multiplient et s'accrochent aux nerfs qui partent des oreilles. Chaque son s’interprète en mille fantasmes.

Avez-vous déjà entendu aboyer un chevreuil ? C'est rauque, ça ressemble à un cri de singe et ça pourrait être poussé par un être humain bizarre. Le genre de mec qui étale son sang sur les troncs d'arbres ?

Après quelques récidives, il détale, froissant les feuilles mortes de ses invisibles foulées gracieuses.

Je me relève, les cris m'ont transpercé, je suis exalté. Je bondis par-dessus les tentacules ronceux, j’esquive les mains griffues, je renifle la terre odorante pleine de mycélium.

Peu s'en fallut que je me gratte le dos sur l'écorce rugueuse d'un chêne.

Enfin, je retrouve le charme qui m'avait accueilli tout à l'heure. Sur sa peau le sang est noir. Quelle étrange magie opère lorsque je rentre dans les bois. Le temps prend un aspect mythologique, ma raison s’efface et je me sens tellement plus...

Être à l’affût, guetter les traces de poésie qui veinent ce monde étrange, surveiller tranquillement la beauté, chasser les images, les morceaux de rêves incarnés dans le drapé du réel, c'est décidé, tous mes pas désormais seront inspirés de la danse de la forêt.  


Mardi 17 Septembre,

Le vent s’acharne dans les branches. C’est la nuit. La fenêtre est ouverte. Des langues de fraicheur me frôlent parfois en réponse au mugissement de la haie.

Tout à l’heure, un soleil de miel dessinait un monde croustillant et doré.

Il est quatre heures du matin...

Dehors, de longues bandes moutonneuses donnent au ciel un aspect étrange sous l’éclairage de la lune. Les arbres n’en finissent pas de frissonner et de craquer, ça souffle et pourtant la voute étoilée est immobile.

J’installe une chaise sous le sapin au milieu du jardin et je pose la guitare sur mes genoux…

Les notes s’instillent et perlent en gouttes futiles aux bouts de mes doigts.

Toute une journée de frissons, de grands rêves, et cette nuit pleine de petit doutes.

Je rentre à la maison. Je chauffe une casserole de lait.

Dans la tasse, je mélange le cacao en poudre avec du sucre roux, je touille avec un peu d'eau pour faire de la bouillasse, et je verse le lait.

Enfin je déguste !


Mercredi 18 Septembre,

Lorsque l'on place un billet dans une entreprise, on attend toujours quelques retours, des dividendes, voire des baisers sur la bouche.

En mettant dix euros dans la poche de mon fils qui partait en voyage d'intégration collégiale dans le Périgord, je ne m'attendais pas à recevoir un tel trésor.

Je vais le chercher dans la nuit, il balance ses sacs dans le coffre et il monte dans la voiture.

Il commence son babillage, comme à chaque fois, je fais semblant de ne rien comprendre, jusqu'à qu'il se souvienne de mes explications récurrentes à propos des registres de langage.

Utilisant ma plus belle éloquence, je lui demande même des nouvelles de mon putain de pognon :

- Je l'ai dépensé papa, pour des souvenirs, enfin, pour un souvenir et une petite pierre. J'ai craqué pour un doudou, tu me connais, un petit mammouth en peluche. Ils étaient tous là, alignés, et il y en avait un avec l’œil un peu mal fait, comme un défaut d'usine, tu vois. Personne allait l'acheter, alors, j'ai craqué...

Ému, je lui dis qu'il a eu bien raison... Ensuite, j'écoute toutes ses anecdotes les plus étranges, ses réflexions philosophiques, les débriefing de parties de jeu vidéo qu'il avait inventé dans sa tête pour patienter dans le bus, les histoires d'amour de son meilleur pote, les trahisons des footeux, l'étrangeté des filles, les détails inimaginables, ses projets dithyrambiques...

Emporté par le flot de mots, je manque même d'écraser un chat.

Un petit chat gris...

Enfin, on arrive à la maison. Pour le faire taire, je lui sers une assiette de lentilles aux petits légumes du jardin. Il aime, et il se régale, moi aussi...

Je me dis, bon, il est bavard, mais au moins, il a bon fond...


Jeudi 19 Septembre,

Je m’épuise, alors j’ai tellement envie de raconter n’importe quoi, de la prose fantaisiste, des histoires d’amour, de sorcières, de fuite dans les étoiles, mais bon, j’ai un défi de prose prosaïque, je pars du concret…

C’est la rentrée bordel de Dieu !

Voyez-vous, j’ai eu des soucis d'inspiration. Ce jeudi, il y a eu du vent. Du vent toute la journée, du vent et du soleil. Le genre de vent qui te donne envie de voler, de courir sur les canopées, de suivre les rivières jusqu’à la mer en grappillant des raisins sans raison. Du vent qui te fait regretter ta bonne vieille Montgolfière, du temps où tu partais à l'aventure, avec le vent, comme un nuage, pour savoir là où il va, sur quelle montagne immense il s'échoue en froufroutant.

Oui, alors j’ai cherché l’inspiration dans les livres, mais impossible de lire. Le vent ! Le vent est si rapide et coquin, je le sens qui lit par-dessus mon épaule et : Chlinc ! Chlinc ! Chlinc ! Il tourne les pages à toute vitesse…

En plus, comme il fait chaud, ce pauvre érable où je suis à moitié pendu... Je vous rappelle qu'il faut deux arbres pour accrocher un hamac. L'érable donc, perd ses feuilles. Ce qui m'attriste, c'est qu'elles ne sont pas mortes, mais juste sèches à cause de la canicule. Ce sale vent arrache les feuilles vivantes, bien vertes et il les envoie dans les choux...

Oui, j’ai planté des choux le matin, et maintenant j’ai bien peur qu’ils s’arrachent. Avec le vent, j'imagine mes choux sur le toit de la voisine, c’est atroce, mes petits choux !

… Laissez-moi vous dire, que ce jeudi à chercher de l’inspiration dans un hamac fut épuisant et très déprimant, j'en ai encore les cordes qui grincent...

Ah, ce vent ! Il a emporté mes cheveux, ma joie, mes dents, mon été et mes idées dans ses tourbillons glacés. Toute ma belle prose ! Hop ! Disparue !

à demain...

Vendredi 20 Septembre,

- Non ! Non ! Non ! Je ne veux pas aller à l’école ! Laisse-moi tranquille, je dors !

Sept heures du matin, enroulé dans sa couette avec Winnie l’ourson et Bourriquet, l’enfant proteste. Il faut dire qu’il fait encore nuit sur le dessin imprimé sur le coton, une belle nuit bleue avec des grosses étoiles toute dodues qui dansent autour d’un croissant de lune souriant !

- Tu peux bien dire tout ce que tu veux, je n’irais pas ! La ! C’est décidé ! Je n’ai pas fini mon rêve…

Je pose une main sur son épaule qui dépasse, et tendrement, calmement, assis sur le rebord de son lit, le cœur gros, je lui mens. 


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