Prose de Septembre I

#prosedeseptembre

Tous les jours ouvrables de septembre, une dose de prose prosaïque, c'est mon défi de septembre ! Si c'est trop ennuyeux, ben c'est la vie !

 

Mardi 03 Septembre,

Matin de rentrée au collège, sept heures... Assis en face de lui, je le regarde tremper des galettes de riz recouvertes de cette confiture de mûres que nous avions faite à la mi-août...

Les images remontent, parfumées : les doigts violets et les fruits les plus beaux, inaccessibles ; le vent dans les cheveux et dans les folles avoines desséchées ; le galop d'un chevreuil débusqué ; la fraîcheur des vallons traversés à vélo, le soir tombant ; la pleine lune jouant avec les éoliennes ; la marmite aux écumes violettes qui chante sur le gaz...

Retour sur terre, le riz soufflé flotte courageusement dans les vagues de lait aromatisé au cacao, du Poulain, pour galoper dans les couloirs d'une nouvelle aventure que je m'efforce de trouver géniale et passionnante.

Mon café est prêt. J'attrape une galette, j'étale une belle couche de confiture dessus et je m'apprête à faire trempette, un peu désœuvré, imitant mon gamin enjoué. Et là ! Quelque chose m'échappe et se brise. Une partie de la galette vole sur mon visage, l'autre morceau le plus gros, tombe à côté de la tasse, roule sur ma chemise, macule mon pantalon et se brisant en plusieurs bouts, se dépose sur le carrelage...
 

Gaston, oui, mon fils s'appelle Gaston et il aime ça !

Et bien, Gaston éclate de rire et se précipite pour regarder le résultat de cette maladresse matinale !
 

- Papa, tu as trop de la chance, elle est tombée du bon coté, ça va être une bonne année ça ! 

J'ai acquiescé, divagué un peu avec lui sur une théorie à propos des chats qui retombent toujours sur leurs pattes et qui seraient bien pratique pour sécuriser nos tartines délictueuses...
 

J'ai même essayé pour rire, de tartiner les deux cotés d'une galette et de la faire tenir en équilibre sur la tranche.
 

Enfin, j'ai changé de vêtements parce que la confiture de mûres même sur le noir ça colle et ça fait tache, et on est partis à travers les champs en écoutant du rock & roll dans la voiture...

Mercredi 04 Septembre,
 

Sortie des classes, fou de joie, il se jette dans les bras de son père et implore : allez ! allez ! on se casse !
 

J’ai la chanson «emmenez-moi» dans la tête.
 

On s’installe dans la voiture, mais les gros culs des bus scolaires nous interdisent toutes manœuvres. Il me dit, ce n’est pas grave, on est ensemble et commence à me raconter ses trucs…
 

Il avait choisi pour le premier jour un sweat-shirt chic, noir avec un petit col blanc, un short rouge et sa veste en jean si vaste qu’il peut disparaître à loisir à l’intérieur. Il est fier, et à la fois, blasé, presque ma définition de l'élégance ultime.
 

Les bus avancent, lentement, fumant, la rue est en pente, des enfants dégoulinent de partout, je manœuvre comme je peux et je finis par réussir le décollage…
 

- ... On a rempli des questionnaires. Alors, à la question qu’est ce que tu aimes le plus, bon à part les parents, parce que c’est les parents qu’on aime le plus, j’ai écrit « les jeux vidéo »…
 

- Eh bé ! et les chansons de "Brassens" pour t’endormir, les balades en forêt, les parties de jeu de rôle dans la bagnole, les soirées lecture sandwich au pâté "coca-cola", les haïkus écris à la plume dans ton cahier spécial, la brique de briques de "LEGO" que je t’ai achetée, ton vélo vintage, les piqueniques, les bagarres, les mangas, les expériences culinaires, les "road trip" dans le Limousin avec "Chuck Berry" à fond, les jeunes veaux qui dodelinent le matin dans la rosée des pâturages crachant des petits nuages tièdes par les naseaux à côté du potager avec la lueur mielleuse du soleil levant…
 

- Papa, je t’arrête, ils ont demandé ce que "JE" préfère. Mais tu ne sais pas le pire ! Après, il y avait la question : quel est votre talent particulier, alors là, j’ai répondu : je sais rêver éveillé. Comme ça ils sont prévenus, même quand j’ai l’air d’écouter sagement, parfois, je ne suis pas là…
 

Jeudi 05 Septembre,

"Café de la paix", c’est mieux que "Le Central", ou "Le Café du commerce".
 

Je ne sais pas s’il s’appelle de la paix parce qu’il est juste à côté d’une église romane qui n’en finit pas, comme un crapaud au soleil, de s’aplatir lentement sous le poids édifiant de la non-existence de dieu ou si c’est à cause de ce monument aux morts sur la place : un soldat, souvent coiffé d’un pigeon dérangé des intestins, y brandit un rameau d’olivier, le fusil à la main et du sang sur les bottes.
 

Café de la paix ! En face de la maison de la presse ! Ah ! Les petites villes de campagne… Je serais mort il y a quelques années, ici, rien qu’à regarder les grands-mères grises et courbées qui traînent leurs paniers vers un horizon de marbre.
 

Aujourd’hui, ça me va, je suis là, au fond à droite, dans le coin opposé à l’entrée, l’endroit le plus stratégique. Je surveille la porte des toilettes, le bar et j’ai une vue imprenable sur la vitrine de la boucherie de l'autre côté de la place.
 

La radio passe des vieux tubes. La patronne en salopette, maquillée façon perdrix, fait sa vie, perdue entre ses verres poussiéreux et les cartes postales reçues de pays lointains. Elle est assise sur un congélateur MIKO, de l’époque où c’était drôle qu’un petit esquimau nous refourgue des glaces, et elle discute avec un gars du cru.
 

Du bois vernis partout, des torsades, des miroirs piqués, des fleurs en plastiques et des vraies mélangées, des rosaces en plâtre au plafond, la déco de Noël qui résiste aux années, un perroquet vide à côté d’une pile de chaises et surtout, au fond à droite, des banquettes spacieuses et confortables molletonnées de velours côtelé orange sur lequel présentement je suis assis en train d’écrire cette prose prosaïque du jour...
 

Johnny se met à hurler dans une enceinte au-dessus de moi :
 

"Je te promets des jours tout bleus comme tes veines
Je te promets des nuits rouges comme tes rêves
Des heures incandescentes et des minutes blanches
Des secondes insouciantes au rythme de tes hanches"
 

Deux filles près d’un drapeau australien, reprennent le refrain à la volée. Je cherche les mots en fixant d’énormes lampions chinois rouges frangés d'or et d'argent.
 

Au milieu du café, une barre ronde part du centre d’une table pour s’enfoncer dans le plafond. Il ne manque plus qu’une de ces élégantes praticiennes de pole danse, ou un cheval de bois empalé qui monte et qui descend, voire les deux.
 

Je suis seul à boire des allongés et à écrire.
 

Je ferme les yeux quelques secondes et le cheval vient me lécher avec sa langue en sucre d’orge. La danseuse s’enroule dans un drapé de soie et vient jouer aux échecs avec moi, je suis sûr de perdre parce qu’elle suce la tête des pions en attendant son tour.
 

Au bar, quelques cow-boys préparent un mauvais coup et de jeunes fugueuses romantiques écrivent des poèmes à l’eau de chardon sous les flots de leurs cheveux noirs. Une fleuriste globicéphale empoisonne tout ce beau monde avec ses soucis.
 

Je pleure, le visage entre les seins de la danseuse, échec et mat. Doucement, elle me caresse les cheveux, me commande un sonnet sur sa lune et ramasse une liasse. Un homme étrange en smoking noir pique les mouches une à une avec une broche dorée avant de les mettre dans une petite boîte d’ivoire, elle se glisse sur ses genoux avec amour.
 

Près de la boule à facette une plante carnivore se tortille. Une grande femme sort des toilettes le front en sueur et se fait attraper le bout de sa traîne de plumes par la bouche dentelée du végétal affamé.
 

Je soupire et le son de ma voix se mêle au gémissement d’une Anglaise soûle que Serge Gainsbourg lutine juste à côté de moi sur l’air de "je vais et je viens" joué à l'accordéon par un vieux qui ricane.
 

Je reviens quelques secondes au réel, je finis mon deuxième café, mais malgré les bruits de vaisselle qui caracolent dans les espaces vides pleins de toiles d’araignées, il me semble que tout est encore rutilant de délire autour de moi, tout est enchanté.
 

Il est temps de partir. Le Café de la paix est plein comme un œuf. Je vais laisser tout ce beau le monde ici et reprendre l’aventure seul.
 

J’embrasse la danseuse. Oh ! J’adore les danseuses, elles parlent sans mot dire, silencieuses dans les spires du temps, gracieuses petites galaxies en tutus.
 

Sur la place, le monument aux morts a fait place à un monument aux vivants. Il y a un toboggan, des fruits offerts et les enfants chantent des chansons sur les animaux disparus…
 

Ma clé électromagnétique déverrouille le sas d’entrée de mon module d’extraction de l’endroit où je suis encore. Je viens de changer les torpilles aux gluons, ce n’est pas le jour pour me couper la route.
 

Vous voilà prévenus !
 

Vendredi 06 Septembre,
 

Enfin, l’angoisse de la page blanche. Depuis le temps que j’en entends parler, la voilà. Rien à dire, les mots écrits sont vains, ils tombent comme la pluie sur du ciment et filent en petits ruisseaux vers le grand tout-à-l’égout de la noosphère.
 

La page blanche et tout de suite : la neige, les skieurs, l’ours polaire, les glissades. La page blanche et le lit vide, l’espace silencieux, le fromage insipide, comme si on nous avait pris l’essence, nos sens, le sens de tout.
 

Le plus dur c’est de ne pas effacer au fur et à mesure que l’on écrit, comme ces petits cachotiers qui laissent trainer des branches dans la poussière derrière eux pour qu’on ne les retrouve jamais dans leur cachette infâme.
 

Le plus dur c’est d’avancer, de noircir la page et d’accepter ce jus ennuyeux que l’on dépose sur la pureté d’ivoire frémissante. L’accepter, le corriger, et le partager… Mon dieu, trouvez-moi un arbre pour me pendre…
 

Cette fille, une page blanche tout sourire. Saphir, or, rubis, marbre, nacre et tutti quanti, plus belle que dans les rêves. On sait bien que si on creuse, si on la change d’un coup de baguette magique en sorcière et avide et pathétique, on aura perdu le meilleur. Laissons les anges aux nuages et les pages blanches sur le bureau.
 

Un angle d’attaque, oui, c’est ça ! Un putain d’angle d’attaque. Ça ne sert à rien d’écrire sans un angle d’attaque… C’est comme en bricolage, on cherche comment faire pour que ça marche, quel outil, quel système, quelle colle, quel vis. Et une fois qu’on a trouvé, parfois, ça roule…
 

Mais là, la page est collée sur mes paupières, à part filer la métaphore… Soupir ! Je ne vois pas ! Les mots semblent mous. Même les plus audacieux tombent à l’eau.
 

J’invoque : énamourée, cyclope, métatarse, signe, foutre, lycaon, mellifluent, corsaire, mycéliums, purée, mouclade, amphitryon, glamour, escarcelle, annélide, vernaculaire, insubmersible, pique assiette… Pff ! Que dalle.
 

Oh puis zut ! Aujourd’hui, je cale…

Lire la deuxième semaine !
Lire la troisième semaine !





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