Prose de Septembre II

#prosedeseptembre

Tous les jours ouvrables de septembre, une dose de prose prosaïque, c'est mon défi de septembre ! Si c'est trop ennuyeux, ben c'est la vie !


Lundi 09 Septembre,

Dehors, il fait déjà nuit noire. C'est mat, une brillante absence d'informations pour mes pupilles dilatées, rien. Presque rien, car, à chercher dans les ténèbres des nuances, on aperçoit quelque chose.

Un monde surprenant, informe, hostile et à la fois attirant et velouté.

Un monde, que l'on devinait à tâtons, lors de ces réveils cauchemardesques de l’enfance.

Le volume étrange de la chambre du bout des doigts me paraît absolument infini et obtus. Je ne comprends plus l’agencement des draps du lit, du tapis, des jouets qui roulent sous mes pieds à moitié affolés. Je cherche désespérément l'emplacement de l’interrupteur. Satané interrupteur qui rampe sur les murs, s'échappe, limace lubrique, téton maléfique et qui finalement, après des litres de sueur froide m'offre une douche d'illumination blafarde sans dieux ni maîtres, ni monstres.

C’est drôle, après le coup de la page blanche, je vous fais le coup de la nuit noire. C’est la prose prosaïque du JOUR pourtant…

À côté du clavier une tasse vide remugle le café colombien. Je me doute bien que le verbe remugler n’existe pas, mais je vais tout de même l’utiliser et je vais même aller couler un café ; sans aller jusqu’à vous promettre une nuit blanche…

À force d’utiliser mes propres poncifs, j’ai bien peur de racler la couenne maigre de mon enthousiasme à écrire jusqu’à l’ennui le plus mortel.

Ouais, l’ennui, ce monstre qui dans un bâillement avalerait le monde, tu le connais, hypocrite lecteur !

A-t-on le droit de citer un poète sans le nommer ?

«... Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, dans la ménagerie infâme de nos vices, il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, il ferait volontiers de la terre un débris et dans un bâillement avalerait le monde ; c'est l'Ennui ! - l'œil chargé d'un pleur involontaire, il rêve d'échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! »

Baudelaire

Et voilà, Charles cherchait ses mots pour vous, et moi, j’ai du café chaud et il me reste quarante minutes pour ma prose.

Je regarde dehors, encore, et encore.

L’automne arrive par la fenêtre ouverte. Il n’est pas encore là, mais il chuchote. Dans l’humide fraîcheur qui s’écoule sur mon cœur fragile et sur ma peau vierge d’amour, je le sens qui chante :

C’est terminé, vos danses folles
Vos fruits sucrés, vos robes courtes
C’est terminé, les nuits d’étoiles
Les bouquets de fleurs parfumées
Ici où là

Rendez-vous et rendez les armes
Je vous annonce la fin des temps
Les feuilles tombent déjà là-bas
C’est une question de seconde
Ici où là

Toi l’érable, toi le prunier
Dépouillez vous, prenez la pluie
L’été se meurt, j’arrive alors
Je veux de l’or et de la vie
Ici où là...

... mince, ma prose rouille en poésie... Ruine, fétus, morceaux, éclats…

La tasse est presque vide, c’est prosaïque ça, mais on n'en ferait pas un roman, l’histoire d’un mec qui boit du café la nuit…

Dans la dernière gorgée, j’ai retrouvé un bref instant, le goût des fleurs de capucines. Je les aime tant les capucines que je rêve parfois d’être un crapaud la nuit, accroupi entre les tiges vermiformes, protégé de la lumière de la lune par les larges feuilles rondes, à guetter l’aube, pour embrasser à tâtons, ébloui, la première fleur à éclore dans les rayons dorés.

Allez ! Une autre tasse, il faut que j’écrive la prose du jour de mardi, dans moins de dix minutes…

Mardi 10 Septembre,

C’est toujours lorsque je dois partir, que j’ai le plus envie d’écrire. Aujourd’hui par exemple, il me reste à peine une heure ou deux avant le décollage obligatoire et j’ai le bout des doigts qui me démange.

C’est ainsi que j’aimerais vivre chaque seconde, avec cette sensation d’urgence, d’intensité. Vivre avec sur le pas de la porte, la faucheuse qui attendrait, tenant le chronomètre d’un air amusé.

Allez ! Allez ! Allez !

Allez les vers !

Parfois elle balancerait son outil tranchant et grimacerait à la fenêtre en chantant :

Tic ! Tac ! Tic ! Tac !
Tu devrais vider ton sac
Toc ! Toc ! Toc ! Toc !
Avant que je pass’ la porte

Elle t'encouragerait quoi ! Je suis sûr qu’avec elle sur le dos je finirais par écrire tous ces putains de livres cachés dans mes délicates circonvolutions cervicales.

Je vais me faire faire une pendule à l’effigie de la faucheuse, avec une phrase choc en latin du genre : Memento mori.*

Une pendule pour penser à profiter de chaque seconde, et pour cesser de mener une vie tendue vers un hypothétique et ennuyeux bonheur vendu à grand frais de publicité mensongère sur la jeunesse éternelle.

Mais ce n’est pas tout ça, il faut que je me taille ! Deux cent kilomètres à siffloter en regardant les paysages, en imaginant un grand squelette qui cours entre les éoliennes, qui saute les rivières en faisant claquer sa cape, et qui parfois… Hic ! …

Vous coupe la route !

* souviens-toi que tu vas crever ! (Traduction approximative de mon cru. J’ai perdu mon latin il y a bien longtemps chez les grecs dans une salade de macédoine).

Mercredi 11 Septembre,

C'est osé, c'est gaillard, presque coquin, voire salaud, mais je vous sers la prose d'hier aujourd'hui. Alors, vous allez me dire ravale-la ta logorrhée faisandée de mots et de sons périmés. Garde-la pour toi, laisse-la avec les ordures de la veille, elle est pourrie, foutue, "hasbeen".

Oui, certes, elle est surannée d'un jour, mais mon hier est encore tiède dans ma mémoire.

J'ai vu des vignes, j'ai bercé d'illusion des femmes et des fleurs, j'ai creusé ma tombe à petits pas joyeux, j'ai pissé au pied d'un noyer en regardant les grappes pendouiller sous le rang, j'ai pissé sur une armoise je crois, et sur quelques chénopodes rougissant en cette la saison. Il y avait du vent et une odeur de dune dans l'air.

La piste onze de mon CD de Chuck Berry est complétement buggée. Dans l'autoradio, on dirait bien qu’un ectoplasme gluant s'est glissé dans la fente pour s'engouffrer dans la gorge du joyeux rocker noir et ça n'avance pas, il s’étrangle avec ses musiciens jusqu'à que je passe à la piste suivante.

Go ! Go Johnny Go ! Go !

Oui, j'ai roulé, j'ai fait des bornes dans l'entre-deux-mers... Magique ça, l'entre-deux-mers, surtout avec la montée des eaux !

Tout en pensant aux prédictions flippantes des collapsologues dégingandés de notre ère des poissons - la bien nommée-, j'ai arpenté l'entre-deux-mers et ses collines couvertes de vignes. J'ai vu les flots se déchaîner, les vagues glisser sur les côteaux bruissant de grains rouges et blancs, et j'ai compté les petits châteaux, lentement rongés par la houle sur leurs îles minuscules.

Des châteaux démolis lentement comme autant d'illusions, mais qui gardent le charme des ruines, comme mes illusions.

C'est ça, le souvenir de la veille, de la ruine de présent. Dans les vestiges de cette prose, des ronces, du lierre lent et vernissé, des toiles d'araignée, enfin, toute la panoplie des choses qu'on laisse aux habitants du silence et de la sérénité.

Voilà la prose d'hier, faites-en bon usage et soyez sages, je prépare celle d'aujourd'hui pour demain.
 

Jeudi 12 Septembre,

J'adore les platanes. Leur vigueur, leurs longues branches blanches qu'ils lancent à l’assaut du soleil lorsqu’ils ne sont pas élagués. Et ce feuillage à la menthe verte qui, là-haut, loin au-dessus de ma tête, bruisse avec élégance dans la lumière brûlante tandis que je contemple les troncs, piliers de la cathédrale, sous l'ombre de laquelle, sans autre dieu qu'un café, je végète, happé par leurs vibrations divines.

Las bas, sur l'avenue, ils sont ratiboisés. Tout l’hiver, leurs moignons de monstres hirsutes génèrent des gargouilles, des brouillons de créatures cauchemardesques que les enfants sages, les yeux écarquillés, n'osent pas dénoncer à leurs parents encore plus sages et encore plus monstrueux. En ce début de septembre, des pelages de bêtes cachent, pubis émeraude, leurs troupes de massues dégénérées. Ils sont alignés, forçats pétrifiés, la touffe au carré et jalonnent la rue.

Une pensée pour celui que je laisse grandir sans trop de taille. Qu’il prenne la place qu’il lui faudra pour devenir un homme, qu’il goûte au parfum de l’air qui chante au-delà des clochers et des antennes râteaux de la canopée urbaine, et surtout qu’il me fasse de l’ombre.

Vendredi 13 Septembre,

Les nerfs, vous connaissez ? À chaque fois que j'ai les nerfs, je repense à la viande de la cantine à l'école primaire.

Dans les steaks hachés, on trouvait ça, des nerfs. Des fils blanchâtres censés avoir été des transmetteurs d'informations d'ordre intime entre le cerveau de la vache et sa chair tourmentée, chair présentement transpercée par ma fourchette timide.

Quand je trouvais un nerf dans mon steak, je ne le mangeais pas, je ne mangeais plus rien. Dégouté, scandalisé, j'osais même dire aux "dames de sévices/services" :

"C'est dégueulasse, plutôt mourir que de mettre ce morceau de cadavre mal cuisiné dans ma bouche, bande de sorcières empoisonneuses d'enfants !"

Un truc dans le genre, j'avais déjà une certaine répartie. Et voilà que les nerfs, par contagion, énervaient le personnel de la cantine.

J'étais puni. Je passais toute la récréation à regarder le bout de viande caoutchouteux dans l'assiette. Les cantinières, elles, pouvaient, en passant la serpillière se passer aussi les nerfs sur moi.

Une fois même une de ces affreuses avait tenté de me boucher le nez pour m'enfourner je ne sais quelle horrible chose dans la bouche. Je l'avais mordue.

Et, tout comme la fois où suite à un coup de compas dans le postérieur, j'avais entrepris d'écraser définitivement le responsable de cette attaque indigne entre le sol et le plateau d'une table, je fus accusé d'être un enfant violent.

"Monsieur le directeur, c'est de la légitime défense, et pour celui qui peut écrire un poème sur une fleur coupée, pour celui qui s'allonge dans la boue du chemin pour sauver le duvet d'un oiseau, pour celui qui pleure quand l'air est bon, pour celui qui donnerait sa vie pour un baiser de cette danseuse décatie qui hante les pages d'un "New-Look" jauni caché sous son matelas, votre histoire de proportionnalité de la réplique n'a aucune sens."

Et le temps qui passe n'arrange rien. Je suis d'une humeur d'ange exterminateur, je n'ai pas de pitié pour les bourreaux de mon enfance, ils ne m'ont rien appris, à part la colère.

L'idée de ces harpies et autres bouchers boutonneux s'approchant de l'agonie et de la décomposition, pour moi, c'est comme une petite source entre deux blocs de schiste qui détrempe un cresson bleu, un sourire d'enfant, une caresse d'araignée...

C'est comme de la menthe qui coulerait à l'intérieur de mes bras et de mes jambes. Une lumière rose et tiède dans le sternum, une bénédiction qui mélange en moi l'amour et la haine pour en faire des cascades de rires et de chevelures de femmes énamourées.

Oui, c'est ironique, mais d'imaginer mes bourreaux en train de crever, ça me calme les nerfs.

Lire la première semaine !
Lire la troisième semaine !







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