Les vœux 2018

   Les vœux... mais mon Dieu ! Que voulez-vous ? La santé ? Le bonheur ? La fortune ? L'amour ? Le temps ? La joie ? Servez-vous c'est la grande braderie de janvier. 
   On vous propose, vous disposez ! Des vœux pavés de bonnes intentions ! Du bonheur tout cuit, de l'argent qui suinte des ruisseaux, de l'amour avec kit de soumission et croquettes pour le chat, une boîte panacée guérit tout, des cotillons en tourbillons multicolores dans tous les recoins de votre âme ! 
  Et bien moi, cette année, je ne vous souhaite rien. On dit que le bonheur des uns fait le malheur des autres alors vous comprenez, je ne voudrais pas, en vous souhaitant du bonheur, amener le malheur ailleurs.
   À tous ceux qui savent qu'ils sont en train de crever, à ceux qui couchent dehors, qui en bavent, qui ont faim, à ceux qui ont fermé la porte à l'oiseau bleu, ou qu'il lui ont coincé la queue dans la machine à laver... à ceux qui vomissent... à tous ceux qui ne liront jamais ce texte... J'ai la pudeur et la prudence de ne rien souhaiter à personne, même à mon pire ennemi (à propos, passe boire le café quand tu veux mon lapin, je t'attends)... 
   J'en suis même arrivé à me dire, avec les gros yeux et tout, pour qui on se prend à souhaiter des trucs comme ça à tout va et à tout le monde. Heureusement que ça ne marche pas, sinon il y aurait chaque année une crise économique terrible... 
   Trêve de sarcasmes, je vais tout de même vous souhaiter quelque chose, ça m'est venu hier soir, sur mon vélo. J'écris beaucoup en pédalant est-ce un signe ? 
   "Je longe la rive de la Garonne, la verte. Des caravanes intempestives sont attroupées ici, sur une mince bande de pavés, à côté d'une mince bande de luzernes engrillagées. Un minuscule chien songe à m'égorger en me regardant passer. Je suis emmitouflé et grippé comme pas deux et je vois un caravanier sortir dans le brouillard en caleçon blanc pour se soulager contre un lampadaire.
   
La vision de ce corps nu dans la nuit glacée, l'indifférence du type quant aux aboiements de son petit chien et ma présence silencieuse commence à éveiller, à déclencher serait plus précis, ma plume. Celle-là même qui gratte à l'intérieur de l'os de mon crâne pour me traîner devant un clavier ou les lettres, telle une suite de cafards écrasés, s'alignent les unes derrière les autres pour faire des mots avec l'intention de raconter/dire/soumettre au monde/accoucher de quelque chose ; mais, suite à un certain marathon d'écriture au mois de décembre, j'ai pour ainsi dire laissé la chose décanter et je n'ai pas écrit depuis des jours. J'ai la sensation récurrente d'avoir tout dit et mes sornettes habituelles reviennent me hanter... La nuit, les lignes, les réverbères, encore et encore les mêmes fadaises... Rien de tout cela ne mérite que je m'échine. Et si j'avais tout dit, et si j'avais épuisé le sujet. L'angoisse de la page blanche n'est rien en comparaison de l'angoisse de la page noircie de choses ennuyeuses et sans intérêt. Allez ! Je tente un haïku.

Nuit brumeuse ~
L'homme en slip blanc me hante

   C'est alors que je bougonne en pédalant, c'est alors que je me sens inutile et vague et indéterminé, c'est alors que les lampadaires s'éteignent, d'un seul coup.

Illuminé par les ténèbres ~
l'homme retrouve son étoile

   Je ne suis plus en ville, des masses noires tapies un peu partout excitent mon imagination, des feuilles de platane poussées par le vent hurlent en griffant le goudron. Une odeur de vase se mélange avec le sirupeux d'une poubelle encore chaude. Une zone inondée me force à mettre pied à terre... 
flaque de boue ~
la lune prise au piège de mon empreinte

Je passe un moment d'extase tous les sens en alerte. Mon imagination et mon inspiration comme deux chiens de traîneaux excités par une tempête de neige explosent la glace qui voulait m'engloutir tout à l'heure. ---
   
   Lorsque la lumière revient, je suis un autre homme... J'ai formulé mes vœux pour 2018...
   
   Finie la contemplation, les balades nostalgiques allée Giono, les palabres sur la brume, les sonnets sur l'ennui métaphysique, les haïkus minimalistes sur ce trognon de pomme envahi de fourmis. Terminé les envolées lyriques pseudo-scientifiques sur les plantes rudérales envahissant la ruine du présent. Non ! cette année, et c'est mon souhait pour vous tous, c'est l'année du passage à l'acte.

    Éteignez la lumière, débranchez vos ordinateurs et vos téléphones et prenez vos grands couteaux d'espoir pour égorger la résignation résiduelle.
   
   Oui ! Je vous souhaite, car je me le souhaite, de réaliser tous vos rêves abandonnés dans les tiroirs de la procrastination... De dépoussiérer vos petites folies d'enfant, vos lubies d'adolescent. Je vous souhaite de partir... ou de revenir... de lui dire... de le mordre... de chanter... de gifler votre patron... de sauter une bonne fois pour toutes par cette fenêtre qui vous fait de l'œil...
   
   Et chacun appréciera les conséquences de ses actes... car à souhaiter toutes ces choses essentielles à tout le monde, j'ai bien peur que l'on oublie qu'il faut les créer.

   Redonnons aux mots du sens et de la matière...

   Alors pour rentrer dans le concret, je vous souhaite de passer boire un café ( je fais très bien les crêpes aussi, et mes tartes sont réputées ). J'imprime aussi des poèmes, je chante des chansons et je donne de précieux conseils à ne surtout pas suivre !

    Excellente année 2018 à tout le monde et à bientôt dans la réalité.