Calendrier de l'Avent : Vendredi 22 Décembre

" Le boulot... bah... de la piécette pour mon proprio... des gens... sourires... soupirs... j'attends. Une odeur de moisi s'incruste dans mes cheveux... c'est le temps... ou bien cette cave où j'attends... Les heures sont très longues ce soir, on dirait des aiguilles qui s'infusent lentement dans mes veines. On me suce le sang...

l'horloge distille
en dessous du niveau de la mer
je pleure les étoiles

Sortir... tout le monde essaye de sortir... Cadenas, énigmes, portes closes, mystère et boule de gomme. Je suis le faux gardien qui garde de faux prisonniers. Tout le monde fait semblant ici comme chez le psy... Les prisonniers sont libres et moi, je suis assigné à résidence dans ce recoin de pierre puant. Les gros tuyaux d'évacuation des toilettes me vomissent dans l'âme à chaque fois que quelqu'un tire la chasse... Si je vous racontais mon travail, vous ne me croiriez pas...

haïbun
une tentative d'évasion
inespérée

Je m'ennuie... oh que je m'ennuie ce soir... je cherche sur mon cahier de nouvelles formes de poésie... Le "cinqku" francophone m'ennuie...

le sang
dans ma barbe
sèche la nuit
coule de mes yeux noirs
sans fond

... le rondeau... marre de la rime... un sonnet.... pfff... je suis toujours coupé... je m'ennuie comme un ressort plié... et c'est presque aussi chiant qu'une rage de dent... J'entends les autres qui s'ennuient aussi... On meuble... On s'ennuie, on s'ennuie, on s'ennuie... c'est une sensation étrange... donner son temps... donner sa vie... ses secondes... contre de l'argent.

regrets futiles
le cochon regarde son sang
couler dans la bassine

Et puis ça passe. Au bout d'un moment, après une suite gracieuse de gestes répétés cent fois, je reprends possession de moi. Je pointe et je sors. Dans la rue, il m'attend... Mauve et sans lumière. Sa chaîne luisante, mon tas de ferraille... Mon cheval... La ville est sous l'emprise du crachin d'un dieu bavard et glacé qui postillonne sans discontinuité. Je zigzague en faisant chanter mes pneus sur le goudron mouillé. Il fait froid et peu de monde, très peu de monde pour tituber sur les trottoirs.

nuit du solstice
l'hiver garde les frileux
engeôlés...

Malgré le vent et la pluie qui se colle dans mes cheveux, je ne veux pas rentrer tout de suite... non... je traîne... J'ai mes habitudes... un café en terrasse au pub. J'aime ce moment au milieu des serveurs qui débauchent. Le rouquin attache les chaises et le barman fait sa pause en me racontant des blagues toutes plus mauvaises les unes que les autres...

son rire flûté
les mouettes endormies
sur le fleuve

J'épluche mon Smartphone sans l'écouter... c'est une banane... sa peau des messages. Certains me font rire. Une petite sorcière à cinq cent kilomètres digère une amanites tue-mouche... Une brune complexe cherche son reflet dans la poésie de l'instant... les autres manquent à l'appel... Les lumières de la ville créent des structures qui jouent avec l'humidité ambiante... Au bord de la Garonne, les peupliers sont encore verts... J'imagine les myopotames frottant leur pattes palmées dans la vase...

la pluie s'arrête
le cuistot déguste
une citronnade

Le pub ferme... Je remonte sur mon fidèle destrier de métal. Sur la route deux jeunes filles portent une énorme branche. Je balance une vanne subtile... Elles me répondent qu'elles vont ranimer la flamme de Stalingrad... Je roule avec du feu dans la tête... Ah les blondes. Le lion bleu me laisse passer entre ses jambes. Toujours rien pour se cogner la tête par ici... C'est pourtant un mâle...

dernière ligne droite
mon quartier si banal
extraordinaire

La porte s'ouvre avec cette nouvelle clé... on a changé la serrure... l'autre jour... Je grimpe l'escalier... je balance l'antivol que j'ai autour du cou sur la table basse... un autre café... un peu de confiture de myrtilles... des haricots à la tomate... des galettes de maïs... à la radio des gens de droite expliquent que c'est mal... J'éteins...

tout le monde dort dans l'immeuble
ma guitare électrique
ronronne

Il est temps d'écrire ce haibun qui me trotte en tête depuis tout à l'heure dans la cave... Un style décousu... du banal... du quotidien... Une façon d'écrire chiffonnée... instinctive... casser de l'éloquence... aussi détaché qu'un pendu quand c'est trop tard... Je balance les mots en pensant à la bruine qui se dépose partout... au bruit d'eau dehors... à cette nuit aquatique... ma nuit de solstice...

café froid dans ma barbe
un renvoi à la compote de pommes

J'ai fini... J'ai mal à la tête.... J'enlève mes chaussures... J'ai froid... j'ai chaud... Je couve quelque chose... mais quoi... je bâille... oh mon lit... Je vais étirer cette viande douloureuse dans les draps glacés... mon cerveau bouillonne déjà de rêves et aspire au néant... je corrigerai demain...

café du matin
l'amertume fleurit
mon sourire