Romance

Enfant, on s'imagine des histoires d'amour. La première pour moi, c’était une femme bleue qui à chaque visite me faisait fondre. Tout chez elle me faisait fondre. Elle n'avait même pas le temps de me toucher que j'étais déjà dispersé dans le cosmos en une longue écharpe d'étincelles bleutées. C'était peut-être la Vierge Marie qui essayait de me faire passer un message pour son fils, ou bien, une bonne fée penchée sur mon berceau... Qui sait !
Adulte, Dieu m'en préserve, je n'ai jamais eu la chance ou le malheur de connaître les affres de l'Amour. J'ai donc été obligé d'inventer toutes sortes de romances pour peupler ma mémoire. D'avance, je vous demande de pardonner mon imagination qui parfois, je le concède est un peu excessive.

"Je la revois à quatre pattes sur le lit. J'avais confectionné une laisse avec mon écharpe. Elle se frottait contre mes jambes en gémissant, Jamais je n'avais rencontré de femme si délurée. Je serrais un peu plus fort le nœud coulant qui caressait sa gorge et j'attrapais sa longue queue de cheval. De ma voix joueuse et grave, je lui avais donné cet ordre :
- Dis-le !
Après des mois de correspondance et d'étrange amitié, il y avait une petite semaine qu'on s'était embrassé jusqu'à la mort en revenant d'une balade en forêt. C'était maintenant notre première soirée. On s'était retrouvé chez moi et les choses avaient mal tourné assez rapidement.
- Dis-le ! Allez ! Dis-le !
Ses yeux étaient un peu perdus. Cela faisait déjà au moins trois fois que je l'avais empêchée de se déshabiller...
- Dis le ! Bordel !
Je m'étais assis sur le lit. J'avais approché mon visage de son visage, reniflé sa bouche, ses cheveux, les effluves lactés et lilas de son pull moulant ! Elle avait essayé de mordre, mais j'étais sur le qui-vive. Dans ses yeux, une flamme grondait maintenant avec l'aplomb d'un incendie de forêt. Et elle me l'avait dit :
- Je t'aime !
L'amour, cela faisait si longtemps que je n'y croyais plus, un conte de fées pour allumés de la cafetière.
- Toi, tu dis ça pour que j'te baise.
- Non, je t'aime vraiment, mais baise-moi quand même !

Le matin de cette nuit de noce, j'ai su immédiatement que j'avais rouvert d'anciennes blessures et que j'allais souffrir jusqu'à la mort. C'était clair comme de l'eau de roche, comme le ciel par dessus les toits à la fenêtre. Le revers de la médaille, depuis le temps, je le connaissais. Méditant sur l'ironie de la vie, et sur l'affreuse illusion qui, malgré ma lucidité s'éveillait dans mon cœur charmé, j'avais écrit ce beau sonnet.

Les étoiles sont tombées de haut.
Le couchant me semble un peu fadasse.
Les gazouillis d'oiseaux sonnent faux
Alors que la nature s'encrasse.

Rien ne luit, rien ne brille vraiment.
La lune n'est qu'une grosse tache.
Son halo pâlot désespérant
Derrière des arbres miteux se cache.

L'arc-en-ciel a les pieds dans la boue.
Les araignées sans grâce vomissent
Du fil collant que la rosée troue.

Depuis que j'ai goûté à sa cuisse,
À sa bouche, à ses mains qui se glissent,
Le monde, hélas, n'a plus aucun goût.

J'avais écrit ce beau sonnet sans faire de bruit, en sirotant un café.
Au moment où je posais le point final, ses seins voluptueux s'étaient écrasés, pour pas dire imprimés dans la chair de mon dos dénudé. Ses mains s'étaient posées sur mes épaules, et dans mon oreille, accompagné d'un souffle tiède et parfumé, de sa voix plus douce que de la poussière de poussière de pétales de myosotis, elle l'avait redit encore..."

La nuit fraîche est pleine de grillons, leurs ronrons rampent par la fenêtre entrouverte. J'hésite un peu à publier ce morceau de choix, car même s'il est totalement imaginaire, il y a au moins un des deux personnages de cette sombre histoire qui existe encore...


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