Mémoires

C'est étrange, mais tout bien réfléchi, l'histoire commence par la fin... Un jour d'éveil sans doute, à deux doigts d'un pas de trop dans le vide, à deux pas de s'endormir une fois de trop. Lorsque l'on projette d'écrire à partir de sa mémoire, le passé se lance dans le futur. On imagine comment cette forêt d'images et d'émotions chaotiques pourrait engendrer un récit digne de l’Iliade ou de l’Odyssée... C'est tout l'art du conteur, rendre la moindre miette plus succulente qu'une pâtisserie de roi. La moindre rouquine un peu triste, endormie sur ton épaule, devient le Graal encore plein du sang christique, auquel tous les démons s'abreuvent en riant...

Autofiction, mémoire imaginaire, envie subite de se raconter un peu plus, de se tirer le portrait d'une façon avantageuse, peu importe, je m'en fous, comme le dirait Brassens, j'ai déjà mon âme en peine, je suis un voyou.

"Il y avait un ruisseau. On m'avait dit que l'eau était la meilleure du monde. Je me suis mis à genoux et ma bouche s'est posée sur le courant. C'était vrai, c'était la meilleure du monde. J'ai encore la sensation électrique sur les lèvres et l'odeur des menthes aquatiques et de la vase serpente dans mes synapses.

Le ruisseau était caché dans un pré aux herbes hautes. Il y avait des papillons et des fleurs jaunes, peut-être des pissenlits. On avait laissé la voiture là-bas, près d'un petit pont et on était descendu en famille avec un panier plein de victuailles. Il y avait du "Pshiiit citron", des chips "Flodor" et des petits paquets en papier rose...

Je me souviens avoir appris ce jour-là à tendre des embuscades... Mon père avait une veste marron en velours côtelé, avec mon frère, on avait dû ramper comme des petits vermisseaux pour essayer de surprendre notre maman chérie, ange d’albâtre à la longue chevelure brune qui gardait le panier et cette petite sœur toute neuve en soupirant.

C'est ce jour où j'ai définitivement choisi mon camp dans le western de la vie, chaussé des mocassins et taillé mes flèches bien pointues pour exterminer sans remords les visages pâles et leurs atroces idéologies mortifères...

Ce jour-là, j'ai aussi appris à crier des You ! You ! You ! En posant ma main sur la bouche et à parler sans conjuguer les verbes...


ruisseau chanter prairie pour toi petit homme
toi boire, toi devenir poisson
toi regarder soleil, toi voler, toi être libellule
toi pouvoir courir, toi avoir cheval dans le cœur"

C'est fou, c'est loin, il ne reste presque rien, des éclats, des émotions et au fil des mots, le souvenir habillé de songes et de prospectives, s'incarne.

Je referme cette page et mes lèvres sèches cherchent encore implorantes la fraîcheur merveilleuse de ce premier baiser...


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