Idiot et sage à la fois

Entre chien et loup, léger vague à l’âme, un peu d’exercice pour le rêveur éveillé. En passant à côté des étables, de jeunes veaux effrayés par les ombres meuglent à s’en décrocher les cornes. Dans les intervalles baveux où les bovins anxieux reprennent leur souffle avant de s’y remettre de plus belle, les grillons ronronnent de concert avec un engoulevent blotti quelque part.

Le chemin des vignes se tortille vers l’Est qui suinte lentement la nuit. Les bas-côtés frétillent des trilles de folles avoines secouées en petites vagues nerveuses par le vent. Au loin, sur les brandes de la tremblaie, des lueurs rouges clignotent au rythme des flaps mous des pales blanchâtres d'éoliennes. Désespérément, elles essayent de fouetter les petits cirrus noirs qui rampent à mi-chemin entre la terre et l’espace intersidéral…

À gauche, soudain, une odeur irrésistible. Le pré qui descend lentement en zigzaguant entre les bosquets a été fauché, fané, pirouetté, endainé, pressé et bottelé. Avec la fraîcheur du soir, délicatement posé sur la chaleur de la journée, un parfum d’infusion divine, inégalement réparti, arrive et disparaît, invisible nappe d’enfance retrouvée et de plaisir perdu à jamais…

Déboulant de l'ombre d'un petit bois, près de la clôture, un renard traverse prudemment, la queue bien parallèle avec le sol. Dans le soir, sa rousseur est indétectable et pourtant éblouissante. Suite à quelques pas dans le pré, un lièvre dresse les oreilles et file lui aussi. Il fuit et se cache dans la haie sans savoir que le goupil vient juste de s'y glisser.

À l’ouest, nimbant les frondaisons de cette forêt qui clôt un autre pré, juste en dessous d’un champ de tournesol, le ciel est parme. Il n’y a pas d’autre mot, parme et lentement dégradé vers les bleus les plus sombres, indigo, lapis-lazuli, outre-mer, cobalt, les rétines se perdent en conjonctures.

Au bord du chemin qui remonte de Coligné, dans un angle vestige d’anciennes parcelles, deux énormes chênes s’épaulent, tout proches. Deux frères qui mélangent leurs branches, leurs feuilles et leurs racines depuis deux cent ans. S’ils sont coupés un jour, on peut espérer que ce soit le même jour…

En levant la tête, on devine que les étoiles commencent à perler, prélude imaginaire à la rosée du matin dont on peut presque sentir le goût sucré dans les bouffées d’air que l’extase contemplative sublime au son des battements du cœur.

idiot et sage à la fois
assis sur une balle de foin
il regarde la lune


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire...