Il neige

Elle tombe, tout en douceur, tout en caresse, sur la ville. J’ai vu ça par la fenêtre ce matin, des petits cristaux un peu lourds, que le vent chahute avant qu’ils ne se déposent. Certains plus chanceux que les autres résistent, s’accumulent et confectionnent, comment dire, les mots me manquent, un blanc manteau.

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Trois petits flocons ~
dans le pot de fleur à peine de quoi faire
une boulette de neige
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Il faut être tout à fait franc, aujourd’hui le manteau est plutôt léger. Une frêle dentelle, légèrement translucide. Les toits et les feuilles vernissées du laurier sauce qui tapine à ma fenêtre, m’émoustillent. Ce châle de glace diaphane dévoile leurs atours d’une façon particulièrement sensuelle.

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Légère poudreuse ~
Elle danse dans un foulard de soie blanche
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Je suis hadjin débutant. C’est-à-dire que je m’entraîne à l’art d’écrire des haïkus… Vous savez, le haïku, un petit poème plein de non dit, qui transforme un instant de vie en sensation poétique… Alors pensez-vous ! Un tel étonnement, une telle surprise, il me semble que je dois sublimer cet instant immédiatement…

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Ici et maintenant ~
il neige
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Je sors mes antennes, je passe sur leurs longues crénelures noires une cire pour me protéger du froid, et, sans même l’amer chaud d’un café en bouche, j’ouvre mes élytres pour aller zigzaguer dehors, filant comme une métaphore…

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Vague de froid ~
le blanc de mon œil une banquise
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J’ai en tête d’aller voir le grand mimosa du jardin botanique. Lui en pleine floraison, avec la neige qui tourbillonne ! J’ai déjà une cascade de haïkus mirifiques qui vrombissent dans mon cabochon.
Attention à ne pas s’égarer et à bien rester sur ses gardes. Les meilleures intentions du monde, ne valent pas une attention profonde. Les haïkus comme :

- «Galaxie d’or, averse de diamant ~ la neige réchauffe le mimosa »...

... ou bien le subtil (oui je m’envoie des fleurs c’est de circonstance) :

- «Neige sur le mimosa ~ la sauce gribiche de ma grand-mère»,

... ne sont pas à jeter aux orties, mais c’est un peu fabriqué voyez-vous.

Je suis consciencieux et attentif, et pour l’instant, le mimosa est encore au parc.
Ce que je vois, ce qui me saute aux yeux, alors que je m’approche de l’entrée d’un collège. C’est un dessin dans la mince couche de neige posé sur le pare-brise arrière d’une Clio rouge.

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Bout de doigts gelés ~
deux énormes phallus stylisés
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Un de face et un de profil. Côte à côte si l’on peut dire. Mon âme de poète attentif se fend comme un rondin de chêne… J’éclate de rire.
Devant le collège, une bataille s’organise. Il faut apparemment racler deux ou trois toits de voiture pour faire un bloc intéressant à fracasser sur les copains. Je me souviens qu’à mon époque, pour améliorer l’aspect ludique des batailles, certains rajoutaient dans les boules de neige, une pierre, histoire de marquer le coup.

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Jeux d’enfant ~
Vivisection d’une grenouille
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Je laisse notre jeunesse en train de guerroyer, je n’ai pas le courage de leur parler d’amour et de douceur, le mimosa m’attend toujours dans le parc.
J’arrive au pied de l’arbre. Sur la mince couche blanche par terre, certains, apparemment inspirés par la beauté de l’instant, on inscrit leur prénom avec des cœurs et des étoiles. Pour Eva et Victor, tout n’est pas perdu. Je regarde les fleurs jaunes légèrement balancées dans les flocons qui dansent.
Dans l’air glacé des touches d’héliotropine électriques pétillent, étincelles parfumées dans mes sinus.
Sur une inflorescence, il y a un petit tas de neige qui tient suspendu.
Il y a quelque chose de précieux dans l’air… Un tintement silencieux, intime, qui me titille en tintinnabulant tantôt dans le cœur, tantôt sur la peau.

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Trésors d’hiver ~
La neige et le mimosa scintillent
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Je trace à mon tour dans la neige, une empreinte, une jolie tête de mort, et je m’en vais voir l’eucalyptus à côté… Il est penaud sous la neige et je crois qu’il a besoin de mon réconfort. Une pie a élu domicile dans son feuillage toujours vert et elle me regarde avec l’aplomb d’une baronne tout en haut du géant sûrement en manque de koala …
Le pot de sucre glace semble épuisé… Il ne tombe plus rien du ciel. Je passe à la boulangerie, j’y réchauffe mes doigts gelés quelques minutes et je sors mon stylo.