La parole

C'est une travailleuse infatigable, aux chapelets de péchés longs comme le bras, qui tire sa magie dans le feu ardent du verbe. Tous les jours à la mine « Memory », elle sue en dévastant les circonvolutions de nos cervelles à grands coups de langue.

C'est une rêverie qui n'a pas peur des manches de pioche. Elle creuse, elle fouille, elle puise, elle arrache des tréfonds la substantifique moelle dans l'encrier de lumière de celui qui brille par son absence.

Elle trace des sillons. Des arbres, des blés, des coquelicots graciles, des ronces et des poireaux derrière son labour s'épanouissent en étoiles filantes...

Elle épuise des filons : ici une veine d'océan coincée entre deux granits grumeleux. De fil en aiguille, la tempête et ses gifles d'écume nous poussent par le fond.

Par là, une mince et goûteuse allusion de vallée aux eaux claires qui s'effilochent. Elle nous tricote des méandres cotonneux, des petits bois ombragés et des rochers roulés de bouillons truiteux.

Elle raconte en écoutant : ce que je dis... Pourquoi je le dis ... Ce que ça lui dit... Ce que je voudrais qu'ils se disent... Ce qu'il faut qu'elle se dise... Ce que ça ne dira surtout pas j'espère... Ce que je ne sais pas que je dis, mais que j'assume par bravade rimbaldienne... Ce que je dirais peut-être si sa tête se penche un peu à gauche, lorsque l'hirondelle de son aile virgule déflorera l'onde neurasthénique de l'écluse de ce grand canal oublié derrière la digue envahie pas les clématites mélancoliques au parfum de vieux rails rouillés, où les baisers perdus tapinent pour les maquereaux papillons de notre enfance...

Ce qu'elle a dit, ce qu'elle a voulu dire, ce qu'elle ne voulait pas dire, ce que j'aimerais qu'elle ait dit...

Le temps arrosera le poison multicolore de ses émanations. On pense le creux de la vague derrière soi, on relâche son attention et l'arc en ciel féerique de sa réalité, vous passe dans tout l'épiderme. Le frisson est à la hauteur d'une nuit tout seul dans les bois, lorsque le docteur Moreau lâche ses créatures pour réguler les populations de ces singes maladifs que l'on appelle les hommes.

Elle soigne, elle maudit, elle flatte, elle détruit, elle raconte , elle construit, elle ouvre le poème comme un accordéon et le fait hurler à la lune.

Il faut nous arracher la langue ou alors on va s'en servir. On va tout leur dire. Pour le meilleur et pour le pire. Dire l’inénarrable, l'outré, l'indicible, les secrets les plus étranges, les mensonges les plus véridiques, les vérités les plus incroyables.

Elle nous met les mots en bouche comme autant de boulets de canon, de baisers fleuris et les mots tu vois, une fois bien mastiqués, bien sucés, bien léchés, c'est de la mitraille...

Je fais le malin, je la prends parfois. A la mine comme au bureau, ogre suave et désinvolte, je la mets en abîme, paréidolie sémantique et non-sens sensuel sens dessus dessous.Je la déguste comme un artichaut à la vinaigrette et je te l'écris.