L'éolien

Dans le vent tout à l'heure j'ai dansé. Je me prenais pour un arbre, c'était boisé comme sentiment. Mes bras bougeaient parfois, mes cheveux étaient emportés. Un nuage de mouettes au dessus d'un chantier volait d'une façon chaotique. On aurait dit des mouches prises dans un courant d'air. Un corbeau est passé. J'ai prié pour qu'il se pose sur moi. Il a filé sans escale, mais je sais qu'il m'a souri du coin du bec. Fraternité de charognard...

Pas loin de moi, un saule éclot ses chatons blancs. Je ne me souviens plus de la fille avec qui je m'étais extasié, au détour d'un chemin de montagne, l'année dernière, à la même époque en voyant une branche de saule annoncer la venue du printemps. J'ai oublié son nom, la soie de sa peau et le sel de ses baisers. J'ai même oublié que je m'étais extasié au détour d'un chemin de montagne, l'année dernière à la même époque...

A ma gauche, une haie de bambous qui s'entrechoquent. Ils sont bruyants de la feuille et de la tige. J'imagine le pelage d'un tigre glissant entre les troncs verts et lisses agités par le vent... impossible de l'entendre venir. Son souffle s'accorde à ses ondulations noires et oranges, ses yeux verts s'accordent avec le reste du monde...

Je suis heureux. Des larmes roulent et le vent les emporte. Je chante. Je hume. Je vibre. Je regarde... Je m'entraîne à être là...

Deux ou trois employés municipaux renversent des brouettes de terre aux pieds des arbres du coin. De jeunes aulnes à vue de nez... Ils me regardent avec suspicion. Il n'y avait pas ce gros arbre barbu hier à la même heure... il a enlevé ses chaussures... , avec le temps qu'il fait... Il va attraper froid... Je leur souris... Venez me mettre un peu de terre, n'ayez pas peur... Ils repartent chercher de la terre, je leur tourne le dos....

Dans le fossé, les vivaces présentent leurs squelettes hivernaux... Pas la moindre trace de vert. Tout est mort. Les cardons pleins de piquants feront d'excellents bouquets de rupture ou de dispute... En été, leurs feuilles forment des bassins où les oiseaux viennent faire des ablutions, leurs fleurs cerclées de mauve se consument lentement. Il ne reste presque plus que leurs ombres fossilisées et qui se balancent en craquant dans le vent.

Une feuille morte de platane se colle contre la barrière qui me sépare de la Garonne. Je la regarde forcer. Elle essaye de passer entre les morceaux de bois. Je lui dis, si tu casses, tu passes, et avec un peu de chance, tu touches l'eau de la rivière, tu te fais emporter jusqu'à la mer, l'Atlantique, les paquebots, l'Amérique et ses casinos, allez brise-toi ou tu vas finir comme les autres entassés en bas de la barrière à composter. Elle plie. Le vent durcit encore, elle plie, mais ne rompt pas... Et quand le vent se calme, lentement, alourdie par les gouttes d'eau qui tournoient, au hasard des gifles d'air tiède elle glisse, jusqu'au sol... Soupir...

Derrière la barrière, un soutien-gorge est tapi dans les herbes comme un serpent. Noir, en dentelle industrielle, avec des petites broderies rouges et vertes, végétales. Ce n'est pas un soutien-gorge grande contenance... C'est un jouet de gamine ou de gamin... Je pense à ceux qui l'ont perdu... là... Dans la précipitation...

La Garonne est toute rétractée. Une épave de navire ensablée, toute grise et vaseuse abrite une colonie de mouettes. Elles picorent et elles ricanent... Le corbeau de tout à l'heure repasse dans l'autre sens, il avait dû oublier quelque chose.

Le "m'as-tu vu "qui a garé sa Maserati jaune fluo sur les quais à cinq cents mètres de distance de ma rétine est prié de payer double d'impôt. Elle me saute aux yeux sa bagnole, alors que je suis de l'autre côté du fleuve...

Un petit ange passe, un père dodu avec son arc et ses flèches, avec des bouquets de fleurs confortables et des nappes de restaurant trop blanches.

J'ai une pensée pour tous les amoureux qui se préparent à passer la saint Valentin. Comme ça... C'est inopiné... C'est cette bagnole "bling bling" et le prince charmant qui trimballe ses cavités caverneuses à l'intérieur avec son sourire "ultra brite"...

Je vais être franc, comment dire, malgré que je sois un arbre et que la vie dans sa merveilleuse diversité me remplisse d'un flot d'amour intarissable, la pensée que j'ai à cet instant, alors que le vent souffle de plus en plus fort et que la pluie commence à être de la partie, la pensée qui se forme en moi pour tous ces amoureux qui célèbrent l'amour selon la coutume dans le monde entier est un peu triste.

Le jour de la fête des Mères, j'ai envie d'offrir des fleurs à celles qui n'ont pas eu d'enfant. Le soir de Noël, je prie pour ceux qui ont la foi... Les pauvres... Pour la fête des Pères, je m'achète un nouveau caleçon... Donc pour la saint Valentin j'ai une pensée pour les solitaires, les veufs et les veuves, les célibataires honteux, les trop occupés, ceux qui n'en ont rien à foutre...

Le petit ange cupide repasse, avec son arc et ses flèches, avec ses bouquets de fleurs confortables et ses nappes de restaurant trop blanches. Il a dû oublier quelqu'un...

Une pensée pleine d'amour pour ceux qui ne sont pas invités à la fête.
Pour ma part, seul ou accompagné, je célèbre l'amour tout les jours... et les amoureuses, qu'elles se trouvent ou qu'elles se perdent, je les aime à la hauteur de la voûte nocturne.

Je reviens à moi...

L'endroit et le moment, ma façon de tout mélanger dans le vent me fait penser à un carnage mémoriel, il y a des morceaux de moi partout.

En enfourchant mon vélo, j'ai l'impression de quitter une scène de crime...

Au revoir, les bourgeons, les cardons, le soutien-gorge et les mouettes, tchao mon pote le corbac, et merci le vent pour toute cette inspiration sans fin...



https://www.youtube.com/watch?v=A6s49OKp6aE