Les cornes

Déjà que c'est une bête immonde. Que son corps, long et gras, tapi dans les cavernes humides de mon âme, glisse et palpite en suant d'amers sanglots.

Déjà que ses griffes s'enfoncent millimètre par millimètre en instillant le poison " Déjà vu". Que, toute repue qu'elle est, elle n'est jamais lasse du carnage, et que mon cœur, ma tripe et mon foie caramélisent aux braises de ses baisers.

Déjà qu'elle tue tous les jours, les pendus en témoignent, les écrasés volontaires aussi, et les noyés, entre deux glouglous ne me diront pas le contraire. Que ses sourires et ses ricanements, fantômes jaunis, se traînent dans les mémoires lointaines, rayant de sang noir les sépias et les roses.

Déjà qu'elle fait peur avec sa bouche qui baille des apocalypses. Que ses mains étranglent le bonheur présent avec cette poigne héritée des bonheurs du passé.

Je vais lui faire des cornes en plus. Je vais faire des cornes à ma nostalgie.

Je vais la trahir, la tondre, la vendre. Et comme un père qui met sa fille sur le trottoir et qui compte les passes en trinquant, je vais la mettre au boulot et rentabiliser toute la peine qu'elle m'a donnée. Je vais lui en faire voir de toutes les couleurs...

Je vais faire des cornes à la nostalgie... et sur la table rase de ma vie, tout neuf, vierge et sauvage, je vais la tromper avec la mort, cette belle amante chaleureuse et maternelle. Je vais la faire chanter pour moi son futur fleurissant.

Je vais faire des cornes à ma nostalgie et comme un toréro, après l'avoir saignée, et poussée dans les cordes, je vais la dépecer pour vous et la cuire en ragoût. Puis je la servirai avec une purée d'amour et des fleurs en beignet...