Le bouquet


Il y avait d'abord ce texte sur la dame aux campanules des Carpates, carré plongeant, brune intense, qui de ses deux mains jointes emplies de terreau a fécondé mon trajet quotidien de clochettes mauves en déposant les plants des dites campanules à même le trottoir sur le dit terreau.

Je voulais lui dire que sa délicatesse avait une influence sur le monde et que ses plantations qui chaque année devenaient plus nombreuses à grouiller sur le trottoir faisaient fleurir de douces pensés en moi, à chaque fois que mon regard baladeur se perdait dans les petits feuillages cordiformes.

***

Puis il y avait celui à propos de l'ombre d'un arbre de port tapissant, qui cet hiver, alors que je tournais le dos au soleil, s'étalait sur la pelouse en une suite de bifurcations. Je m'étais pris à penser que toutes ces fourches représentaient les chemins possibles de ma vie et que le tronc, dans lequel ma silhouette se fondait, était le présent. Au bout du bout de chaque branche, les boules des bourgeons m'apparaissaient comme autant de petites têtes de mort grimaçantes, illustrant de façon radicale une fin semblable à tous ces voyages possible.

En conclusion, il y en aurait eu un sur l'ombre de ce même arbre revu plus tard au mois d'avril, alors que les bourgeons étaient changés en feuilles et que le fin dessin des branches tortueuses était devenu un abri contre les bombardements de notre étoile : ébranlement sauvage du champ électromagnétique que les pissenlits et les pâquerettes renvoyaient en éclaboussures jaunes et blanches sur ma rétine ouverte et dubitative.

***

Il y avait aussi une sorte de poème, en prose... L'ode d'un ours à la lune. Une dédicace tranquille, bien au chaud dans la peau d'un ours des montagnes.

Frisson de myrtilles, étoiles noires débusquées roulant sur les papilles. Roches, mousses, tapis de feuilles mortes rousses et croustillantes, sources et crêtes, flaques de neige, nuages allongés sur les versants de fougère et plaintes silencieuses de l'animal solitaire. L'ours ne hurle pas avec les loups, il clopine en silence, rêveur sous les faisceaux d'argent.

C'était bien-sur un clin d’œil affectueux à toutes celles qui se plaisent à rayonner dans la nuit pour les ours en maraude...

***

Il y avait encore celui-là en forme de vibrant hommage.

Je voulais célébrer le guerrier, la forteresse, le bastion, le château fort, le rempart, le témoin, le bras droit, l'associé dévoué qui me sert de corps. Je voulais l'applaudir pour les coups encaissés, pour toutes les souffrances endurées à seule fin de protéger en moi une fragile espérance. Je voulais le comparer à une vieille bâtisse de campagne tassée par les années, dévorée par le lierre, fissurée par les racines d'une glycine mirifique. Une maison de maître, aux annexes étranges et disgracieuses, plusieurs fois effondrées et rafistolées, avec à l'intérieur, épargné par les murs épais, un enfant souriant et cruel qui la hante. Qui de la chose, qui de l'âme....

***

Et puis finalement, il y a celui-là.

Las de laisser traîner ces avortons de textes dans ma mémoire encombrée de bilans et de folles aventures à venir, j'ai décider de les mettre là... Punaisés comme autant de papillons sur la planche. Fauchés d'un seul coup de faux et assortis en bouquets.